Arnaque

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueVoyant la grosseur de l’arnaque, je me mis à mettre en doute tout ce qu’il m’a annoncé. Ensuite, en bon moralisateur, je lui dis calmement: «Vous n’avez pas honte de profiter de l’ignorance des personnes crédules ou naïves pour leur voler leur argent? Vous êtes un voleur!»

Le 15/04/2024 à 11h00

Cette chronique voudrait être utile. Vous avez, comme des millions de citoyens, un téléphone «intelligent», dit «smartphone». Il est américain ou coréen. Vous recevez des vidéos, vous envoyez des images, vous faites votre cinéma. Le progrès est magnifique. On se souvient de l’époque où l’on rêvait de voir la personne à laquelle on téléphonait. Aujourd’hui, c’est possible. Il n’y a plus de distance entre un fils qui étudie au Canada et sa maman qui l’appelle de Khouribga.

Certes, c’est un téléphone sympathique, intelligent et onéreux. Il est ouvert à tout, y compris à des techniques d’arnaques efficaces (escroquerie, vol, tromperie).

Un iPhone est un bureau, une banque, une mémoire, des souvenirs, une horloge (dimanche matin, j’ai été étonné de le voir changer d’heure alors que je dormais encore!), un livre ouvert non écrit, un jouet, un écran de cinéma et, éventuellement, un appareil qui permet de recevoir des appels et d’en donner. Tout cela entraîne les petits malins à voler ou à harceler. Des adolescents se sont suicidés après des harcèlements qui les ont poussés au désespoir et à la mort.

Prenons un cas plus simple: le vol.

Ainsi, la veille de l’Aïd, je reçois un appel. Un numéro inconnu. Un homme se présente à moi comme agent de la société à laquelle je suis abonné. Il me dit: «D’abord et avant toute chose, bonne fête, etc. Je m’appelle Miloud D. chargé des bonnes nouvelles». Il est au courant de ma date de naissance, de la date de ma souscription à la compagnie, de mon métier, etc.

Il continue: «Bonne nouvelle, votre ancienneté et votre dossier d’abonné sérieux vous ont désigné pour recevoir un cadeau de trois millions de dirhams, oui, vous avez bien entendu, trois millions de dirhams! Pour cela, j’ai besoin de votre numéro de compte bancaire, du nom de votre banque pour effectuer le virement dans les plus brefs délais. Toutes nos félicitations. Je vous envoie un code que vous devez entrer dans votre carte bancaire, ce qui nous permettra d’accréditer votre compte…»

Ayant déjà eu affaire à ce genre d’individus, je me suis mis à rire, ce qui l’énerva. Voleur, mais pas comédien.

Voyant la grosseur de l’arnaque, je me mis à mettre en doute tout ce qu’il m’a annoncé. Ensuite, en bon moralisateur, je lui dis calmement: «Vous n’avez pas honte de profiter de l’ignorance des personnes crédules ou naïves pour leur voler leur argent? Vous êtes un voleur!»

Là-dessus, le ton change et il se met à m’insulter «Espèce de salaud, tu n’es pas digne de recevoir le cadeau de ma société…» Puis il raccroche. Je compose le numéro avec lequel il m’a appelé. Je tombe sur cette annonce: «Il n’y a pas d’abonné à ce numéro»!

Ce genre d’arnaques est de plus en plus fréquent. Le scénario est souvent le même: un cadeau vous attend…

Il se trouve que des personnes non averties tombent dans le piège et donnent le numéro de leur carte bancaire et se voient dépouiller à «l’insu de leur propre gré».

En Europe, ce qui se passe de plus en plus, et qui est plus grave, c’est l’usurpation d’identité. Avec les techniques actuelles très sophistiquées, certains petits «génies» peuvent tout faire. Fabriquer une carte d’identité identique à la vraie, une carte bancaire absolument la même que la vôtre, se présenter à vous avec le logo de la société qui a pignon sur rue, etc.

Il s’avère très difficile de démontrer que ce n’est pas vous qui avez fait des achats avec votre propre carte ou votre chéquier. Les voleurs sont en règle: ils possèdent une carte d’identité, avec votre nom et votre prénom, absolument identique à la vraie carte. À partir de là, ils vident votre compte bancaire et vous encombrent de dettes.

Cela prend du temps de convaincre les assurances, la police et la banque de votre catastrophe. Et vous n’êtes pas sûr d’être remboursé de tout ce qu’on vous a volé!

Finalement, l’intelligence de l’iPhone a ses limites. Elle est porteuse d’escroquerie. De temps en temps, je vois des personnes téléphoner avec un petit appareil Nokia. Je leur demande pourquoi. La réponse est toujours la même: «Avec ce téléphone, impossible de m’arnaquer». Ni d’être sur écoute.

En attendant que l’État moralise l’utilisation des nouvelles technologies, ne répondez jamais à des promesses alléchantes, ne soyez pas tentés, car dans la vie, il n’y a rien de gratuit. Tout se paye et personne ne fait de cadeau. En revanche, les techniques de cambriolage et de vol se sont développées au point de devenir un danger pour toute la société.

Il existe un monde parallèle où l’on fabrique du faux, où l’on s’empare de votre voix pour vous faire dire n’importe quoi, avec votre image en plus. Il s’est avéré difficile de lutter contre cette criminalité de mieux en mieux organisée, l’Intelligence artificielle étant à l’œuvre.

J’ai appris que les services secrets et certains diplomates ont sorti de leur armoire la vieille machine à écrire, dont la copie se fait en glissant entre deux feuilles un papier carbone. L’iPhone est proscrit. On revient aux appareils où on compose des numéros avec le doigt. Bientôt on utilisera les pigeons voyageurs, avec des messages codés noués à leurs pattes.

Oui au progrès, mais pas au prix de se faire dépouiller de ses économies, de son identité, de sa mémoire et de son intimité.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 15/04/2024 à 11h00