«La clinique de la dignité»

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueEn lisant «La clinique de la dignité», de la philosophe Cynthia Fleury, comment ne pas penser à notre pays, à sa société diverse et semblable, contradictoire et solidaire?

Le 01/04/2024 à 12h00

Qui parle de clinique évoque la maladie. La jeune philosophe Cynthia Fleury, qui a beaucoup travaillé sur la notion d’individu, vient de publier un essai où plusieurs intellectuels interviennent sur le concept de dignité et comment le soigner en cas d’absence ou de défaillance. «La clinique de la dignité» (éd. du Seuil), appelle à «refonder le concept de dignité à partir de ses marges».

Une lecture riche d’enseignements. En lisant ce livre, comment ne pas penser à notre pays, à sa société diverse et semblable, contradictoire et solidaire? Il me semble que dernièrement, un vent de justice traverse nos institutions et remet l’État de droit en marche. Tant mieux.

Le fait d’avoir repensé l’examen théorique pour l’obtention du permis de conduire est une excellente initiative. Il y avait quelque chose à faire pour que le pays n’ait plus le record des crimes sur les routes.

On pourrait étendre cet examen à d’autres postes. Je verrai bien des citoyens se présentant pour la députation subir un examen afin d’évaluer leur degré d’intégrité, d’honnêteté et surtout d’abnégation, étant les représentants du peuple, censés travailler pour l’intérêt de la nation et jamais pour leur propre intérêt.

Ce serait pas mal. Il y aurait beaucoup de non admis. Évidemment, cela sous-entend que le candidat possède un niveau culturel, un diplôme allant au moins jusqu’au baccalauréat. Mais cela ne suffirait pas, car on peut être illettré et honnête.

Les «pourris» cachent souvent leur jeu (vous avez remarqué qu’ils sont de plus en plus nombreux; pas mal d’élus sont en prison). Il faudrait alors engager un mentaliste qui saurait lire ce qu’il y a réellement dans leurs tripes. Je ferais bien ce métier, si j’avais le temps. J’ai toujours su lire les visages, cela ne veut pas dire que je tenais compte de ce que je découvrais, non, je me faisais piéger comme un «bleu». Mais le fait de savoir à qui on a affaire est important.

C’est en principe le travail des directeurs des ressources humaines (DRH). Il se trouve qu’ils se trompent souvent. C’est un métier difficile, car il requiert une intelligence particulière, plus subtile, plus profonde.

On pourrait imaginer nos ministres passer au crible d’un examen de sciences politiques. Ce serait drôle. Ou même de participer à une de ces émissions de logique. Évaluer leur niveau culturel serait une bonne initiative.

Bon, nous n’en sommes pas là.

Heureusement que le choix des ministres se fait aujourd’hui selon un minimum de logique en évaluant leurs compétences. Pour le moment, ils viennent pour la plupart des partis politiques. Mais je sais qu’un gouvernement composé d’ingénieurs, de polytechniciens, de ceux qui ont fait les grandes écoles, au Maroc ou à l’étranger, serait la meilleure réponse à la crise qui pointe son nez.

Le Maroc n’a pas besoin de mettre en chantier une idéologie, qu’elle soit d’ordre socialiste ou islamiste. Le Maroc a besoin de compétences qui sont au service du pays avant tout. Ces «technocrates» sont des gens sérieux, ils n’ont pas d’état d’âme, ils sont guidés par une loyauté sans faille. Ils gèrent un ministère comme ils le feraient avec une usine.

Retour au livre de Cynthia Fleury.

La dignité est «l’inaliénable de l’Homme», ce qui la rend «inséparable des droits et devoirs positifs». Elle relève de la responsabilité de l’homme et «suppose un cadre d’expression où les dignités sont en dialogue, tout homme prenant le risque de perdre sa dignité à se conduire de façon indigne avec tel autre».

Nous sommes tout le temps à mettre en exercice ce concept fondamental qui définit la règle d’une civilisation et d’un humanisme.

S’oppose à la dignité d’un peuple par exemple ce que fait en ce moment l’armée israélienne qui considère que les hommes et les femmes palestiniens méritent d’être bombardés et écrasés. Le crime contre l’humanité est exactement ce que fait Netanyahu depuis six mois. Crime contre la dignité humaine.

Cette valeur intrinsèque qu’est la dignité, est aujourd’hui sciemment ignorée par les stratèges israéliens, lesquels, mais le savent-ils, perdent de leur humanité et donc de leur dignité d’être humain, en commettant un génocide à Gaza. Le Tribunal de l’Histoire, s’il existe, rendra un jour justice à ce peuple nié, massacré, humilié. Certains discutent la justesse du mot «génocide» et préfèrent le mot «holocauste» (Gilles Kepel).

Il faut dire qu’en temps de guerre, toutes ces notions sont mises entre parenthèses. Sauf que dans le cas de la guerre à Gaza, c’est une population, affamée, sans défense, livrée sans armes aux bombes qui tombent du ciel.

Revenons au Maroc. Le peuple marocain a montré à maintes occasions combien il est digne et fier.

C’est un peuple qui a la solidarité dans le sang. L’individualisme n’a pas encore fait des dégâts dans la société marocaine. Mais rien n’est acquis définitivement. Ça commence par un examen pour obtenir un permis de conduire, et ça se termine par un examen juridique, quand l’individu manque à ses devoirs, autrement dit, au respect de la dignité.

Un corrompu et un corrupteur sont l’exemple parfait que leur dignité devrait passer par «une clinique» avant de passer devant un tribunal. Cette notion de «clinique» devrait rester dans nos esprits, car avant de rendre justice, il faut réparer, soigner et guérir.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 01/04/2024 à 12h00