Nous avons vu dans ma précédente chronique que l’avancée militaire française vers le sud eut pour résultat de couper le Maroc de la région des oasis dont il fut de fait amputé. Plusieurs villes ou agglomérations sahariennes furent alors rattachées à l’Algérie.
- Il en fut ainsi d’Igli, ksar marocain construit par des habitants originaires des Glaoua et où les appels des jugements étaient portés devant les magistrats du Tafilalet ou de Fès. À Igli résidait un caïd marocain.
- Ce fut aussi le cas de Béchar, «ksar aux 90.000 palmiers», siège de l’ordre de la Ziania dont les marabouts descendent de Moulay Abdallah Ghezouani, enterré à Marrakech, et dont les habitants furent exemptés d’impôt par le sultan Moulay Ismaïl en visite officielle en 1679. Une faveur qui fut confirmée plus tard par le sultan Moulay Hassan.
Béchar est devenue Colomb-Béchar, en référence au général Louis de Colomb qui y établit un poste militaire provisoire durant la campagne menée contre la résistance des Ouled Sidi Cheikh entre 1864 et1869.
Au début de l’année 1917, le général Gouraud, successeur par intérim du maréchal Lyautey au Maroc durant l’intermède ministériel de ce dernier, réclama le retour de Colomb-Béchar au Maroc. Revenu au Maroc, Lyautey fit la même demande. (Télégramme du maréchal Lyautey en date du 1er mai 1917). En vain.
- Idem pour Tabelbala, oasis marocaine construite par les Almoravides sur la route du Tafilalet au Touat et qui fut une étape importante de la pénétration française en direction du Draa. Tabelbala, que Francine Dominique Champault a défini comme le «port avancé du Maroc vers le Soudan» dans son livre paru en 1969 et intitulé «Tabelbala, oasis du Sahara nord-occidental». Tabelbala où, jusqu’à l’indépendance de l’Algérie, la prière était dite au nom du sultan du Maroc.
- L’occupation de Tindouf en 1934 marqua l’achèvement de l’entreprise française de conquête de la région. Tindouf était alors sous l’autorité du khalifat du Tafilalet et ses caïds étaient nommé par dahir du sultan. Cette occupation se fit donc durant le Protectorat; or, comme aucun accord de cession ne fut conclu entre la France et le Maroc, ce dernier pourrait objecter qu’il ne reconnaît pas cette amputation, le Traité de protectorat n’autorisant ni la France ni l’Espagne à disposer sans l’assentiment du Sultan d’une portion du territoire marocain.
En 1935, le colonel Trinquet reçut le commandement du district des «confins algéro-mauritano-marocains», avec deux postes de commandement, l’un à Colomb-Béchar et l’autre à Tiznit. Afin de délimiter les circonscriptions relevant de son commandement, il traça une ligne portant son nom et qui n’avait aucunement pour but d’établir une frontière. Elle était en effet simplement destinée à délimiter les cercles administratifs relevant respectivement du Gouverneur général de l’Algérie et du Résident général du Maroc. La région fut placée sous commandement militaire, la plus grande partie étant rattachée à l’Algérie, qui devint ainsi limitrophe de l’AOF (Afrique-Occidentale française).
C’est de ce moment que date l’ouverture de l’Algérie sur le Sahara qu’elle n’avait jamais possédé puisque, auparavant, elle n’existait pas en tant qu’État, et que les prédécesseurs des Français, à savoir les Turcs, ne l’avaient jamais occupé.
Tindouf fut d’abord englobée dans la zone militaire dépendant du commandement français du Maroc, puis fut placée sous l’autorité du Gouverneur général de l’Algérie.
Comme l’écrivit alors le colonel Charbonneau dans son livre «Sur les traces du pacha de Tombouctou»:
«Quelle anomalie constituait en fait l’attribution à l’Algérie de la région de Tindouf. Anomalie certes, car ce territoire rattaché au Sud algérien, par rapport auquel il est très excentré, vient couper par un coin enfoncé d’est en ouest une zone de passage où, de temps immémorial tous les courants ont lieu du Nord au Sud entre le Maroc et la Mauritanie».
En 1956, au moment de l’indépendance du Maroc, Tindouf était administrativement rattachée à la région marocaine d’Agadir, comme d’ailleurs Fort-Trinquet (l’actuelle Bir Oum-Grayn) en Mauritanie.