Après le blind dating, voici le Tinder marocain halalisé

Zineb Ibnouzahir.

Zineb Ibnouzahir. Le360

ChroniqueUne application amoureuse pour favoriser les mariages et uniquement les mariages, que l’on doit à l’ancien rappeur reconverti en prédicateur 2.0, Cheikh Sar. Ce grand habitué des polémiques et des prêches misogynes nous a gratifiés de sa version halal de Tinder, à la différence près que son concept n’est pas gratuit.

Le 21/04/2024 à 14h01

La semaine dernière, la toile marocaine s’enflammait suite à la diffusion sur YouTube d’une émission de blind dating à la sauce marocaine. Une jeune femme à l’habillement jugé trop provocant, qui choisit entre cinq hommes cachés derrière un rideau, confie à sa chienne le choix entre deux candidats… Le concept en a choqué plus d’un.

Quelques jours plus tard, c’est un concept à l’extrême opposé de celui-ci qui a fait son apparition, avec le site AlMaaqol. Une application amoureuse pour favoriser les mariages et uniquement les mariages, que l’on doit à l’ancien rappeur reconverti en prédicateur 2.0, Cheikh Sar, de son vrai nom Ilyass Lakhrissi.

Ce grand habitué des polémiques et des prêches misogynes nous a gratifiés de sa version halal de Tinder, à la différence près que son concept n’est pas gratuit. Il vous en coûtera ainsi 300 dirhams pour rencontrer celui ou celle qui partagera votre vie. Un prix qui permettrait de faire le tri des candidats et de garantir le sérieux des profils proposés. Ben voyons…

Au-delà du prix, l’autre critère d’emblée éliminatoire est la langue que vous parlez. En effet, le site n’affiche qu’une seule langue, l’arabe, et se positionne ainsi dans un entre-soi qui ne tolère aucun mélange culturel. Candidats et candidates au mariage doivent y exprimer leurs désidératas, ou au contraire ce qu’ils ne veulent pas. «Voulez-vous que votre femme porte le niqab après le mariage?», questionne Cheikh Sar à travers son application en expliquant dans le tuto qu’il recommande fortement que ce soit le cas. «Êtes-vous d’accord pour qu’elle soit plus âgée que vous?», interroge-t-on les hommes tandis que les femmes, elles, doivent dire si elles sont ouvertes à un homme plus jeune qu’elles. Et un homme plus âgé, non, ça ne leur est pas demandé, car cela va de soi. «Êtes-vous d’accord pour qu’elle travaille?», est-il encore demandé aux hommes par le prédicateur qui encore une fois y va de son commentaire en préconisant de choisir une femme qui ne travaillera pas. Le nombre des enfants désirés doit aussi être indiqué avec une préférence pour plus de cinq enfants, recommandée par le fondateur de la plateforme pour respecter la volonté de Dieu. À la question «Combien de fois priez-vous par jour?», on déconseille enfin fortement de cocher la réponse «jamais», car annonce Cheikh Sar, il est essentiel que les personnes inscrites sur ce site fassent toutes leurs prières.

On vous y demandera aussi d’indiquer votre couleur de peau en choisissant la teinte de votre carnation sur une palette de couleurs, et enfin, et c’est bien là la pépite de cette application, vous devez aussi indiquer lorsque vous êtes un homme si vous êtes célibataire, veuf, divorcé ou… marié, mais en quête d’une épouse de plus. Une option dont Cheikh Sar est très fier et qu’il encourage d’ailleurs dans la vidéo promotionnelle de son application. De leur côté, les prétendantes doivent aussi indiquer si elles sont d’accord pour un mariage polygame.

S’agissant des photos de profil, les hommes sont tenus de mettre la leur tandis que les femmes peuvent décider de flouter la photo et d’accepter ensuite de la «dévoiler» à celui qui demandera à la voir, à condition qu’il en vaille la peine bien sûr.

Enfin, preuve que ce site est bien «maaquol», et qu’il n’est pas question ici de copinage, de flirt et de badinage, mais de mariage, dès lors que les deux profils matchent, la femme doit indiquer le numéro de téléphone de son tuteur ou l’adresse de son domicile familial pour que le prétendant s’y rende directement pour demander sa main.

Aussi décriés l’un que l’autre, ces deux concepts en disent long sur notre société sans pour autant en épouser toutes ses variantes, fort heureusement. Certains reprochent ainsi à l’un cette jeunesse affichant une grande liberté de ton, très à l’aise avec son image, visiblement déterminée à se débarrasser du poids des tabous et de la Hchouma et très (trop) influencée par un mode de vie occidental au point qu’elle s’exprime autant en anglais qu’en darija. On reproche enfin à l’autre l’instrumentalisation faite de la religion à des fins mercantiles et la promotion de valeurs allant à l’encontre des principes de justice et d’égalité prônés par la réforme de la Moudawana. Deux concepts à l’opposé l’un de l’autre, qui donnent pourtant à voir deux facettes d’une même médaille, le Maroc, dans ses différences les plus criantes.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 21/04/2024 à 14h01