Le blind dating marocain qui fait scandale

Zineb Ibnouzahir.

Zineb Ibnouzahir.. Le360

ChroniqueLes promoteurs de cette émission avaient-ils l’intention de créer un débat au sein de la société? Cela paraît évident. Dans quel but l’ont-ils fait? C’est la question qui se pose. Une chose est sûre et met tout le monde d’accord, le niveau intellectuel de ce programme frôle les pâquerettes et ne serait-ce que pour cette raison, on espère qu’un deuxième épisode ne verra pas le jour.

Le 14/04/2024 à 13h48

Il y a trois jours, un OVNI a débarqué sur les réseaux sociaux marocains et nourrit depuis, une polémique sans précédent. Diffusée sur la chaîne youtube Kawaliss, qui compte quelques 63.000 abonnés, cette émission qui s’intitule «blind dating outfit» met en scène une jeune femme face à une bâche blanche derrière laquelle sont dissimulés cinq prétendants.

Elle leur pose des questions à tour de rôle auxquelles chacun doit répondre, dans l’espoir de ne pas être éliminé par la jeune femme. In fine, il n’en restera plus qu’un, choisi sur des critères vestimentaires, sa vision de la femme, du couple, ses aspirations dans la vie ou encore son caractère.

La diffusion de cette émission a entraîné une véritable onde de choc, une flopée de commentaires négatifs et fait grimper le compteur des vues à plus d’1,5 millions en à peine trois jours. Et pour cause, tous les ingrédients du scandale sont au rendez-vous. A commencer par la jeune femme qui a cristallisé toutes les passions. De la micro-jupe qu’elle porte, à ses talons hauts, en passant par sa longue chevelure noir corbeau qu’elle triture de manière compulsive pendant quarante minutes, et son maquillage outrancier. Son comportement tout autant que ses remarques ont, eux aussi, été jugés comme allant à l’encontre des bonnes mœurs, alors que celle-ci déplore que la charia ne donne pas le droit aux femmes d’avoir quatre hommes lorsqu’elle peine à éliminer un candidat. Une liberté de ton qui en a choqué plus d’un. Dernier clou enfoncé à son cercueil, le fait qu’elle confie à sa chienne le soin de choisir entre trois candidats. Ces derniers n’ont pas été non plus épargnés par la critique qui déplore leur faible niveau intellectuel, leur manque de valeurs et de fierté.

Les internautes sont unanimes: en aucun cas ces personnes ne représentent les Marocains. Alors pourquoi, s’interroge un grand nombre, avoir décidé de diffuser une telle émission dans un pays musulman, si ce n’est pour choquer ou pour déstabiliser la société marocaine et sa jeunesse. Face aux critiques, la jeune femme a partagé une vidéo sur TikTok afin d’expliquer qu’elle vit en Hollande où ce type de concept est normal, et qu’elle ne s’attendait pas à ce que cela provoque un tel scandale au Maroc. Un argument un peu léger qui n’a pas convaincu.

Mais au-delà du faible niveau intellectuel de ce programme, plusieurs choses nous interpellent. Tout d’abord, l’instrumentalisation politique qui a été faite de cette émission sur les réseaux sociaux par des comptes, toujours anonymes, qui dénoncent la révision de la Moudawana et ont désigné le mouvement féministe comme ennemi public numéro un. Alors que plusieurs activistes féministes sont victimes de menaces de mort sur les réseaux sociaux depuis quelques jours, cette émission est aujourd’hui brandie pour démontrer à tous, dans un grossier raccourci, ce que deviendra le Maroc si jamais «les progressistes», «gauchistes» venaient à imposer leur vision «pervertie» du monde en terre marocaine. Autrement dit, si le Maroc venait à adopter des lois visant à «libérer la femme», et de fait, affaiblissant l’homme (CQFD), voilà à quoi nous ressemblerions: une femme sans scrupules aux mœurs légères et des hommes ayant perdu toute fierté.

Les promoteurs de cette émission avaient-ils l’intention de créer un débat au sein de la société? Cela paraît évident. Dans quel but l’ont-ils fait? C’est la question qui se pose. Une chose est sûre et met tout le monde d’accord, le niveau intellectuel de ce programme frôle les pâquerettes et ne serait-ce que pour cette raison, on espère qu’un deuxième épisode ne verra pas le jour. Parce que non merci, le modèle télévisuel proposé dans d’autres pays désormais biberonnés aux téléréalités débilitantes et hypersexualisées ne nous fait pas envie. De ce côté-là, les réseaux sociaux font déjà bien assez de tort.

On peut d’ailleurs mesurer leur impact en écoutant les candidats, issus d’une jeunesse qui s’exprime exclusivement en darija et en anglais, qui ne s’inscrit pas dans un schéma d’intégration professionnelle classique, qui vivote sans vraiment se projeter dans l’avenir ou a décidé de vivre de sa passion dans l’univers de la musique et du sport. Ce qui les réunit, un franc-parler naturel et une aisance quasi professionnelle face caméra. Dans un pays où la hchouma et les tabous sont érigés en valeurs morales, ça a de quoi surprendre. Les réseaux sociaux qui sont passés par là, libérant la parole et l’image, pour le meilleur et pour le pire. La célébrité est devenue un graal, bien plus valorisant qu’un diplôme, et pour l’atteindre, on apprend très jeune à générer du clic et à faire du buzz, quitte à faire rimer fin du ramadan avec parfum de scandale.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 14/04/2024 à 13h48