Bilan d’étape du gouvernement: satisfaction sur les réalisations et prudence sur l’avenir

Adnan Debbarh.

ChroniqueLors du bilan d’étape de l’action gouvernementale, Aziz Akhannouch, Chef du Gouvernement et leader d’un parti libéral, s’est transformé en fervent défenseur des politiques sociales et de l’investissement public. Alors que les attentes étaient plus du côté de l’investissement privé et de la création d’emploi.

Le 26/04/2024 à 11h59

En réalisant des taux de croissance positifs, malgré une succession d’épreuves (Covid, impact de la guerre en Ukraine sur les prix des matières premières, sécheresses successives, tremblement de terre du Haouz…), l’économie marocaine a montré qu’elle gagne en robustesse. L’option de la diversification sectorielle, en augmentant la capacité de résilience de l’économie, a prouvé son intérêt. Sur ce point, le constat formulé par le Chef du gouvernement ne peut être que partagé.

Comme il est normal de partager sa satisfaction sur les avancées réalisées dans le domaine des aides apportées aux familles dans le besoin, avec pas moins de 4 millions de familles bénéficiaires. Un chiffre encore incomplet, qui trahit l’ampleur des déficits cumulés dans les domaines sociaux. Nous revenons de loin, et beaucoup de chemin reste à parcourir. Ce n’est pas de l’argent jeté par la fenêtre. Le pouvoir d’achat distribué sous diverses formes a contribué, dans certaines limites, à accroître la consommation interne, qui a elle-même participé à la croissance du pays, apportant de l’eau au moulin de ceux qui soutiennent que le keynésianisme a encore de beaux jours devant lui au Maroc. La distribution du pouvoir d’achat s’ajoute aux investissements dans les grands travaux pour agir sur la demande.

La construction de l’État social, grand chantier initié et faisant l’objet d’un suivi constant du Souverain, ne peut s’accomplir sans un système de santé performant et un enseignement de qualité. Toujours d’après le Chef du Gouvernement, des avancées importantes ont été réalisées dans ces deux secteurs. Appréciation difficile à partager.

En effet, malgré les largesses financières, inédites dans l’histoire sociale du pays, octroyées au personnel de ces secteurs, l’offre de santé demeure en deçà des besoins fondamentaux de la population, de même que l’offre scolaire. Il suffit de voir les délais nécessaires pour obtenir un rendez-vous dans un hôpital public. Le phénomène est appelé à empirer du fait de l’accumulation de plusieurs facteurs, notamment le vieillissement de la population et le recours grandissant aux services de santé d’une population encouragée par la disponibilité d’une couverture financière des soins.

Ce n’est pas la construction de quelques centres hospitaliers universitaires qui vont combler le déficit. Selon les estimations les plus optimistes, et en cumulant la contribution du public et du privé, la part des dépenses consacrées à la santé ne dépasse guère 4% du PIB, alors qu’il faudrait au moins le double pour un pays du même niveau de développement que le Maroc. Au risque de se répéter, l’effort financier seul ne suffit pas dans les secteurs sociaux pour obtenir un service de qualité, d’autres paramètres entrent en ligne de compte. Cela est vrai aussi pour l’école. Il serait très étonnant que la qualité de notre enseignement fasse un bond directement proportionnel à celui connu par les salaires distribués. Les indicateurs internationaux sont là pour nous rappeler régulièrement les retards que connaît ce secteur.

L’actuel gouvernement traîne un lourd héritage dans ces deux secteurs, personne ne le conteste. Cela serait injuste de lui demander de remédier à la situation dans des délais courts. Toutefois, on peut lui demander plus de réalisme dans les propos.

C’est à dessein que le Chef du gouvernement a positionné le bilan sur l’investissement et la création d’emplois derrière les avancées de l’État social. Il est un sujet d’embarras pour le gouvernement. Pourtant, sur le papier, tout devrait contribuer à une croissance significative de l’investissement privé national: gouvernement à l’écoute, nouveau Code de l’investissement, batteries de mesures incitatives, fonds de participation, multiplication des opportunités d’investissement grâce à l’ouverture de l’économie… Malgré cet environnement favorable, l’objectif de porter l’investissement privé à hauteur de 50% de l’investissement public en 2026, sur lequel s’était engagé Mouhcine Jazouli, semble difficilement réalisable. Autre problématique, les investissements réalisés actuellement, malgré leur volume important et du fait de leur nature capitalistique, auront beaucoup de difficultés à inverser la courbe du chômage.

Sur ce sujet de l’emploi et de l’investissement privé national, le gouvernement semble connaître de réelles difficultés et ne pas pouvoir construire une véritable stratégie permettant le démarrage d’une nouvelle dynamique. L’appel à un organisme de conseil international pour plancher sur de nouvelles approches peut être légitimement interprété comme la reconnaissance de l’incapacité à trouver des solutions innovantes.

Peut-être une piste de redémarrage serait de réserver à l’investissement privé national le même traitement que celui réservé à l’investissement étranger au niveau des facilités administratives, des retours sur investissement et de sécurisation de marchés. L’utilisation du langage de l’affect est peut-être une approche désuète.

Il est compréhensible que face à cette situation, où l’incertitude persiste dans beaucoup de secteurs, le Chef du gouvernement, malgré le fait qu’il ait décidé de s’armer d’une audace politique tant demandée (votre serviteur l’avait réclamée il y a déjà plusieurs mois dans une chronique), n’ait pas voulu s’aventurer à émettre des engagements chiffrés.

Ceux qui attendaient une gouvernance plus exigeante, plus engagée par des objectifs chiffrés, passeront leur chemin. La prudence reste de mise.

Par Adnan Debbarh
Le 26/04/2024 à 11h59