Réussir la scolarisation de la jeune fille

Adnan Debbarh.

ChroniqueParmi des facteurs dissuasifs de l’accomplissement d’une scolarité complète de la fille, surtout dans le milieu rural où le taux d’abandon scolaire demeure élevé, il y a le manque d’opportunités d’emplois à hauteur de la formation suivie. Retour à la primauté de causes économiques comme explication des faits sociaux.

Le 19/04/2024 à 15h27

La photographie a le pouvoir d’immortaliser un instant, doublée de la capacité à transmettre moult messages de manière plus éloquente que le meilleur des écrits. Votre serviteur a eu l’occasion, une nouvelle fois, de s’en rendre compte en regardant un cliché récent pris à la fin de ce semestre avec une classe de 24 étudiants, faisant partie de deux classes de 48 au total, sélectionnés parmi 3500 candidats. Classe où le plaisir du partage de connaissances et expériences lui a été octroyé. Plusieurs enseignements sont à tirer de cette photographie, d’abord le nombre d’étudiantes: 18 (75%), bien supérieur aux 6 étudiants (25%); ensuite l’occupation de l’espace, les étudiantes ont monopolisé naturellement les places avant autour de l’enseignant, reléguant les étudiants, résignés et intimidés, à l’arrière; enfin il y a un mix d’aisance et d’assurance, lisible sur les visages et les postures des étudiantes qui adressent un pied de nez aux injustices sur le genre que connaît notre société. En effet, en ce moment où le débat sur la réforme du Code de la famille fait rage, la société marocaine continue de livrer des messages de modernisme qui font son «charme discret».

Le constat a déjà été établi. Malgré les multiples difficultés, les filles continuent de briller dans leurs études et ceci de manière générale. Pour rester dans l’objectivité, elles dépassent en nombre les garçons dans l’enseignement supérieur et leurs résultats aux épreuves du baccalauréat sont en moyenne meilleurs. Le fait semble sans appel, les filles qui n’abandonnent pas en cours de route réussissent mieux dans leur parcours académique.

Une fois démontrée l’inanité de la conception archaïque de la «supériorité intellectuelle» de l’homme sur la femme, et afin d’éviter à la société de continuer dans le gâchis, n’est-il pas opportun de remettre sur le tapis les moyens à même de permettre une meilleure scolarisation de la fille?

La problématique de l’abandon scolaire en général et de la jeune fille en particulier a déjà fait l’objet d’un intérêt soutenu de la part des responsables, faisant l’objet de mesures et de publications variées. À titre de rappel, les obstacles à la scolarisation et à son accomplissement normal pour la fille au Maroc peuvent être de plusieurs ordres: socio-culturelles, pauvreté, manque d’infrastructures proches, absence de sanitaires... Malgré les efforts déployés par les pouvoirs publics sous forme d’amélioration des infrastructures d’accueil, de soutien financier aux plus nécessiteux, les résultats, surtout dans le milieu rural, tardent à venir, soulevant d’autres problématiques. La principale demeure le mariage des mineures. La fille, jeune et désœuvrée, devient une candidate naturelle au mariage.

Que faire alors pour convaincre le chef de famille dans un milieu rural de retarder le mariage de sa fille qui a arrêté volontairement ou involontairement sa scolarité?

Dépassons le discours ayant une charge affective et disons-le clairement, pour le chef de famille dans ce milieu, la fille plus que le garçon est une charge sociale et économique et ceci dès qu’elle atteint l’adolescence. Trois possibilités s’offrent à lui: soit la marier, soit qu’elle sorte travailler dans les champs, soit, scénario plus improbable, la laisser poursuivre ses études avec les frais afférents.

Dans la situation actuelle, et plus spécifiquement dans la plaine du Gharb que je connais assez bien pour y avoir séjourné longuement, le scénario le plus avantagé est le second. La fille, ayant interrompu sa scolarité, sort travailler dans les champs comme journalière et rapporte l’argent au foyer. Même une fois mariée, le père n’a aucun problème à voir sa fille divorcée revenir au foyer, le divorce n’est plus un tabou dans la plupart des régions du Maroc, si j’ai bien compris, puisqu’elle va se remettre au travail. La fille reste généralement avec son mari, premier scénario, si c’est sa volonté et qu’il n’y a pas de pressions de la part de sa famille.

Reste le troisième scénario. Qu’est-ce qui peut convaincre la famille de laisser la fille poursuivre ses études? Sachant que même dans le milieu rural, sauf peut-être dans les contrées les plus reculées, la conviction est acquise maintenant qu’intellectuellement la fille est l’équivalent du garçon, si ce n’est qu’elle est plus sérieuse à l’école. Ici rentrent en ligne de compte les débouchés professionnels. On va lui permettre de faire une formation professionnelle pour être employée dans des usines de câblage ou suivre des études pour devenir enseignante ou avoir un emploi dans le public. Les perspectives réelles d’emploi en fin de parcours conditionnent le maintien dans la scolarité. C’est une démarche où prime la rationalité économique, le social et même le religieux sont relégués au second plan.

Avec un taux d’activité de 24%, la femme au Maroc n’a pas beaucoup d’opportunités d’emplois et par à coup risque de voir ses ambitions scolaires contrariées du fait des contraintes économiques. Il n’est pas fortuit que les pays qui ont pu vaincre l’abandon scolaire de manière significative ont atteint un taux d’activité de la femme de 40%. La femme s’instruit pour travailler, il n’y a guère de place pour le dilettantisme. D’autres facteurs viennent impacter le choix de poursuivre la scolarité, citons l’égalité dans les salaires, la carrière, l’exercice de responsabilités…

Plusieurs thématiques contenues dans le Code de la famille en gestation n’auraient pas fait l’objet de discussions si le Maroc avait pris le chemin d’une croissance soutenue et équilibrée.

Ce qui va sans dire, va souvent mieux en le disant.

Par Adnan Debbarh
Le 19/04/2024 à 15h27