Notre littoral est-il sacré, oui ou non?

Fouad Laroui.

Fouad Laroui.

ChroniqueEt voilà qu’on vient d’y couler des dalles de béton, prélude -dit-on- à l’érection d’un gigantesque Luna Park, avec toboggans et montagnes russes, dont l’unique objet est de rapporter plein de sous à un nabab à cigare et à ses amis. Et tant pis s’ils foutent en l’air la plus belle entrée du pays.

Le 03/01/2024 à 11h00

Ce n’est pas l’activité la plus agréable qui soit mais j’ai passé une bonne heure, samedi dernier, juste après le petit déjeuner, juste après avoir nourri mes chats, à lire soigneusement le Bulletin Officiel.

Non, il ne s’agissait pas d’une punition ou d’un acte de contrition; non, je ne suis pas devenu masochiste; non, je ne fais pas profession de correcteur pour arrondir mes fins de mois.

(Encore que… Il se pourrait que je propose mes services à qui de droit. N’ai-je pas immédiatement relevé une erreur, page 3749 du BO 6404 du 15/10/2015: «Toutefois, cette interdiction s’applique pas…» Eh oh, camarade législateur! Où est passé le ‘ne’ de négation dans cette phrase?)

Vous me demandez, éberlué(e):

- Tu n’as rien de mieux à faire un samedi matin?

En principe, oui. Mais là, je voulais vérifier un détail avant de m’indigner dans ces colonnes de ce qui se passe ces jours-ci à El Jadida.

Voici ce qu’on lit dans le Bulletin Officiel:

Article 15 de la loi 81-12: «Il est institué une zone non constructible, adjacente au littoral (…) d’une largeur de cent mètres (100m), calculée à partir de la limite terrestre de ce littoral.»

C’est clair, non? Ce n’est pas rédigé en tagalog, il n’y a là nulle métaphore, ce n’est pas une parabole biblique?

Alors expliquez-moi ceci: jeudi dernier, en roulant d’Azemmour vers El Jadida, je suis tombé sur une construction en cours, au bord de la mer, avec des dalles de béton longues comme ci, larges comme ça, et des travaux de terrassement dignes de l’édification des pyramides d’Égypte; quel est ce nouveau pharaon qui fonde, qui érige, qui bâtit au ras des vaguelettes?

L’avocat du diable qui sommeille en tout lecteur me réplique: «Mais continue donc de lire cet article 15. Le paragraphe suivant dispose: «Cette interdiction ne s’applique pas aux installations légères et amovibles (…).» C’est sans doute le cas à l’entrée de la capitale des Doukkala. Tu t’énerves pour rien.»

N’essaie pas de me faire prendre des vessies pour des lanternes, mouhamy ash-shaytan: je suis ingénieur en génie civil, je sais distinguer entre une construction en dur qui subsistera jusqu’à la consommation des siècles et une ‘installation légère et amovible’. Essaie d’amovibler une dalle de béton lourde de plusieurs tonnes…

Pour les ermites qui ne connaissent pas El Jadida, je me contenterai de dire ceci: quand on vient de Casablanca par la route côtière, on longe d’abord une forêt verdoyante; on admire le golf du bel hôtel Pullman; on sent l’Atlantique tout proche, il est là, on ne le voit pas; son apparition soudaine, à droite, pendant qu’au loin se dessine la ville comme posée sur l’eau, hérissée de minarets et d’un clocher d’église, comme un mirage ou une chose rêvée, fait de cette entrée l’une des plus belles -peut-être la plus belle- du Royaume.

S’il y a un littoral à protéger, c’est donc bien celui-là.

Mais voilà -horreur!- qu’on vient d’y couler des dalles de béton, prélude -dit-on- à l’érection d’un gigantesque Luna Park, avec toboggans et montagnes russes, dont l’unique objet est de rapporter plein de sous à un nabab à cigare et à ses amis. Et tant pis s’ils foutent en l’air la plus belle entrée du pays.

N’y a-t-il pas de quoi pleurer de chagrin et de colère -puis d’essuyer ses larmes avec ce Bulletin Officiel qui, semble-t-il, ne sert qu’à ça?

Par Fouad Laroui
Le 03/01/2024 à 11h00