Les opticiens se mobilisent contre la prolifération des praticiens illégaux

Dans un magasin d'opticien.

Le Syndicat professionnel national des opticiens du Maroc a récemment lancé une campagne d’information pour dénoncer l’inquiétante augmentation des praticiens illégaux, qui exercent avec de faux diplômes délivrés. Le collectif appelle les ministères de la Santé et de l’Inclusion économique à sévir pour éradiquer ce phénomène.

Le 27/03/2024 à 10h44

Vous l’avez sûrement remarqué, les magasins d’optique et de lunetterie pullulent à Casablanca et dans plusieurs villes du Maroc. Un juteux business où s’activent, cependant, depuis plusieurs années de nombreux praticiens illégaux, mettant en péril la santé visuelle des Marocains. Le Syndicat national des opticiens du Maroc a décidé de réagir en lançant récemment une campagne d’information.

«Nous avons mis en place cette initiative pour dénoncer ces pratiques illégales et frauduleuses qui compromettent la santé visuelle des citoyens et minent l’intégrité de la profession, et interpeller le ministère de la Santé et de la Protection sociale ainsi que celui de l’Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétences sur ce phénomène qui prend des proportions alarmantes», explique Mina Ahkim, présidente du syndicat, contactée par Le360.

Si ces non initiés ont pu ouvrir boutique pour écouler leurs lunettes et autres accessoires, c’est grâce aux faux diplômes délivrés par des établissements privés spécialisés dans la formation professionnelle, moyennant un certain montant. Une pratique qui viole la loi 45-13, en vigueur depuis 2019 et qui stipule que pour pouvoir exercer ce métier, il faut être titulaire d’un bac scientifique et suivre une formation spécialisée en optique optométriste de trois ans sanctionnée par un diplôme d’État.

Prolifération inquiétante d’écoles de formation privées

«On constate une prolifération inquiétante d’écoles de formation privées au Maroc qui octroient des diplômes falsifiés», poursuit Mina Ahkim, précisant avoir dénombré en moyenne quatre établissements non accrédités au sein de plusieurs villes, alors que la loi 13-00, qui réglemente le secteur de la formation professionnelle, stipule que le nombre de diplômes délivrés dans la formation spécialisée en optique optométriste doit s’aligner sur la demande. «Nous avons interpellé à plusieurs reprises le ministère de l’Inclusion économique pour mettre fin à ces pratiques, sans obtenir de réponses concrètes.»

En attendant l’implication de ce ministère, le Syndicat professionnel national des opticiens du Maroc essaye de traquer les fraudeurs en collaboration avec la police. Fin juillet 2022, le directeur d’un établissement de formation professionnelle en optique et optométrie qui vendait des diplômes à 25.000 dirhams, à Meknès, a été interpellé après une plainte déposée auprès du procureur général du Roi.

Le mis en cause a été pris en flagrant délit alors qu’il s’apprêtait à recevoir un acompte de 5.000 dirhams remis par un faux acheteur. Ce dernier, accompagné d’un inspecteur de police, n’avait jamais fréquenté l’établissement, mais il allait obtenir un diplôme certifiant qu’il y a effectué et terminé son cursus.

Condamné à neuf mois de prison en première instance, le directeur d’établissement a vu sa peine réduite à 6 mois en appel. «Le syndicat avait demandé au ministère de l’Inclusion économique de mener des investigations supplémentaires dans cette ville pour signaler d’autres cas éventuels, ce qui n’a malheureusement pas été fait depuis lors», déplore Mina Ahkim.

Instaurer un Ordre des praticiens pour réguler le secteur

En mai de la même année, la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) de Casablanca avait démantelé un réseau composé de huit opticiens qui exerçaient depuis des années avec de faux diplômes, après des plaintes déposées par des professionnels du secteur. Pire, dans certains cas, les diplômes avaient été délivrés en moins de deux semaines, en contrepartie d’une somme de 1.000 dirhams.

Outre la délivrance de faux diplômes, Mina Ahkim fustige aussi les ventes directes de lunettes lors de caravanes médicales, ce qui, selon elle, va à l’encontre du principe de gratuité sur lequel se base le volontariat. Elle pointe également du doigt les campagnes publicitaires de vente de dispositifs médicaux qui «constituent une violation flagrante de la loi 84-12». «Nous avons essayé d’entrer en contact avec le ministère de la Santé et de la Protection sociale, à travers la direction chargée de ce dossier, pour interdire ces publicités, mais aucune suite n’a été donnée à nos différentes démarches», souligne-t-elle.

Pour notre interlocutrice, l’État doit impérativement réagir car le syndicat ne peut pas tout contrôler. «La situation devient inadmissible. Il faut que le gouvernement prenne ses responsabilités pour réguler le secteur. Nous invitons les deux ministères de tutelle à prendre leurs responsabilités et stopper cette anarchie, surtout dans ce contexte de restructuration du secteur de la santé au Maroc», insiste-t-elle.

L’opticienne invite aussi le ministère de la Santé à publier le décret d’application de la loi 45-13, en vigueur depuis 2019 et qui prévoit notamment la création de l’Ordre des professions de rééducation, de réadaptation et de réhabilitation fonctionnelle pour réguler le secteur. «Nous attendons cette décision depuis cinq ans. Il est temps que ce texte soit publié pour réglementer l’exercice de la profession d’opticien au Maroc et mettre fin à cette anarchie», recommande-t-elle.

Et d’alerter: «D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la moitié de la population mondiale sera atteinte de myopie à l’horizon 2050. D’où l’urgence de réglementer notre profession pour mieux faire face à cette situation.»

Par Elimane Sembène
Le 27/03/2024 à 10h44