Dénouement en vue de la crise libyenne: le Maroc aux avant-postes des tractations, l’Algérie out

Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères et Ahmed Attaf, son homologue algérien.

Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères, et Ahmed Attaf, son homologue algérien.

À pied d’œuvre depuis le début de ce mois de mars, les diplomaties marocaine, française et égyptienne sont sur le point de convaincre les belligérants libyens de s’accorder sur la formation d’un nouveau gouvernement unifié, synonyme d’organisation d’élections présidentielles et parlementaires sur l’ensemble du territoire libyen. Voisine de la Libye, l’Algérie regarde le train passer, disqualifiée qu’elle est dans toute médiation inter-libyenne à cause de ses manœuvres malsaines dans son voisinage maghrébin et sahélien.

Le 20/03/2024 à 11h37

Les trois dirigeants qui se partagent provisoirement le pouvoir en Libye, à savoir Mohamed Younes El-Menfi, président du Conseil présidentiel libyen, Aguila Salah Issa, président de la Chambre des représentants de Tobrouk (Est de la Libye), et Mohamed Takala, président du Haut Conseil d’État, basé à Tripoli, se sont rencontrés au Caire le 10 mars courant au siège de la Ligue arabe, sous l’impulsion du Maroc, de l’Égypte et de la France. Leurs discussions ont porté essentiellement sur la nécessité de lever les derniers détails faisant encore obstacle à l’organisation d’élections générales en Libye et de former un nouveau gouvernement qui pilotera cette étape cruciale pour le pays.

Selon un communiqué de la Ligue arabe, publié à l’issue de cette réunion, «les trois dirigeants ont convenu de former un comité technique chargé d’examiner les amendements visant à élargir le consensus sur les élections et à résoudre les questions en suspens (…) en plus de la nécessité de former un gouvernement d’union dont la mission sera d’encadrer le processus électoral». Le triumvirat libyen a également appelé l’ONU et les pays assurant le parrainage des négociations inter-libyennes, dont le Maroc, à continuer «d’appuyer ce consensus pour en assurer le succès», afin d’éviter la réédition de l’échec de l’actuel Gouvernement d’union nationale (GUN) libyen à organiser des élections.

Obtenir un consensus inter-libyen

Une nouvelle réunion, dont le lieu reste à déterminer, est prévue entre les dirigeants libyens juste après l’Aïd Al Fitr, toujours sous le parrainage du Maroc, de l’Égypte et de la France. «L’envoyé spécial de l’Élysée en Libye, Paul Soler, le chef de la diplomatie égyptienne, Sameh Shoukry, et son homologue marocain, Nasser Bourita, ne désespèrent pas d’obtenir un consensus (inter-libyen) pour assurer la formation de ce nouveau gouvernement unifié. Le GUN était censé organiser les élections présidentielles et parlementaires en décembre 2021. Mais celles-ci ont été repoussées sine die», écrit Africa Intelligence dans un article paru le lundi 18 mars 2024.

Pour rappel le Maroc, qui a abrité ces dernières années de nombreuses réunions inter-libyennes à Rabat et à Skhirat, a surtout accueilli, en mai 2023 à Bouznika, des réunions de la Commission libyenne dite «6+6» (6 membres de la Chambre des représentants libyenne et 6 membres du Haut Conseil d’État ou parlement consultatif), à l’issue desquelles s’est dégagé un accord complet sur les modalités de l’élection du chef de l’État, des parlementaires et sénateurs en Libye.

L’accord de Bouznika bute encore sur de petits détails qui pourraient être résolus à travers l’introduction de quelques amendements. Les prochaines semaines seront donc décisives pour la Libye quant à «la réussite de la création d’un nouvel exécutif unifié, portée par la France, le Maroc et l’Égypte», estime Africa Intelligence.

Le Maroc: une place centrale dans la médiation

Le rôle du Maroc dans ces tractations est d’autant plus important que le Royaume a jusqu’ici réussi à garder une certaine équidistance entre le Gouvernement d’union nationale basé à Tripoli, qu’il reconnait à l’instar de la communauté internationale, et celui du général Khalifa Haftar, basé à Benghazi, et ce contrairement à la France et à l’Égypte, qui soutiennent de facto ou ouvertement Haftar.

Bien évidemment, cette place centrale qu’occupe le Maroc dans la médiation en Libye n’a pas manqué d’irriter le régime algérien, dont les tensions permanentes aux frontières algéro-libyennes avec les troupes du général Haftar le disqualifient définitivement du moindre rôle dans la crise libyenne. La récente manœuvre algérienne visant à créer un mini-Maghreb, avec la Tunisie et une partie de la Libye, s’inscrit dans une vaine tentative d’en exclure le Maroc et de s’inviter dans la médiation en Libye à travers un groupement mort-né. Le président algérien a maladroitement mis à profit la présence de quatre chefs d’État maghrébins au sommet des pays exportateurs de gaz, organisé à Alger les 1er et 2 mars courant, pour tenter de lancer un nouveau groupement maghrébin sans le Maroc.

Finalement, après le refus de la Mauritanie de cautionner un Maghreb sans le Maroc, une rencontre tripartite a été organisée le 3 mars à Alger entre Abdelmadjid Tebboune, le président tunisien Kais Saïed et le président du Conseil présidentiel libyen, Mohamed Younès El-Menfi. Même si le trio a programmé une autre rencontre à Tunis le mois prochain, cette structure est d’ores et déjà condamnée à rester un simple feu de paille.

En se tirant ainsi une nouvelle balle dans le pied, la diplomatie algérienne continue sa descente aux enfers, récemment accélérée par ses mensonges et flagrantes ingérences lui ayant valu des crises ouvertes avec ses voisins sahéliens. Début octobre dernier, le Premier ministre du Niger, Ali Mahaman Lamine Zeine, a humilié le régime algérien à la face du monde en niant que son pays ait jamais accepté une quelconque médiation algérienne entre lui et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui refuse de reconnaître le nouveau pouvoir issu du coup d’État militaire du 23 juillet 2023 à Niamey.

Pire, le chef du gouvernement nigérien affirme avoir appris la prétendue médiation algérienne sur les réseaux sociaux, accusant ainsi l’Algérie de mentir, et obligeant Ahmed Attaf, ministre algérien des Affaires étrangères, à sortir en catastrophe un communiqué dans lequel il tente de sauver la face en affirmant que l’Algérie «sursoit à sa médiation» imaginaire entre le Niger à la CEDEAO.

Le Niger, le Mali et maintenant la Libye

Au mois de décembre suivant, Tebboune s’est affiché ouvertement avec les dirigeants des groupes armés et opposants au gouvernement malien, reçus à bras ouverts à la Mouradia, déclenchant une quasi-rupture des relations avec le Mali, dont les autorités ont fini par réagir en convoquant l’ambassadeur algérien à Bamako, avant d’abroger l’Accord d’Alger de 2015 qui n’était rien d’autre qu’un instrument d’ingérence algérienne dans les affaires intérieures du Mali.

Et aujourd’hui, le régime d’Alger, qui claironne le retour sur la scène internationale de «la nouvelle Algérie», se voit exclu des tractations entre trois pays à la diplomatie sérieuse et toutes les parties libyennes. Ce cinglant camouflet est à ajouter au palmarès déjà bien garni en échecs du duo Tebboune-Chengriha.

Par Mohammed Ould Boah
Le 20/03/2024 à 11h37