Revendiquée depuis des lustres par les travailleurs et syndicats, considérée comme une boîte de pandore par les gouvernements successifs, la réforme systémique de la retraite est enfin enclenchée. La commission technique qui en est chargée a tenu une réunion, mercredi 5 octobre 2022 au siège du ministère de l’Économie et des Finances, avec toutes les parties prenantes (représentants des syndicats, du patronat, ainsi que les directeurs des caisses de retraite).
Cette réunion avait pour finalité de rappeler l’état des lieux du système de retraite national, donner un aperçu sur les conclusions de l’étude sur la réforme de retraite, acter la constitution de la commission consacrée à la réforme de la retraite et convenir de la composition de cette commission et du calendrier de ses travaux, apprend-on de la présentation de Nadia Fettah Alaoui, ministre de l’Economie et des Finances, dont Le360 détient copie.
Les bases d’une réforme structurelle Lors de cette réunion, la ministre a rappelé que l’objectif assigné à cette réforme était de «mettre en place un système de retraite à deux pôles: public et privé. Cette démarche est en conformité avec les recommandations, en 2013, de la Commission nationale chargée de la réforme de retraite», a-t-elle déclaré.
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Cette commission avait tracé, en 2013, la feuille de route pour l’implémentation de la réforme à travers plusieurs recommandations. La première consiste en effet en la mise en place d’un système de retraite à deux pôles (public et privé) dans la perspective de passer à terme à un système de retraite avec un régime de base unique (RBU).
Selon la vision de ladite commission les fonctionnaires du secteur public devront avoir un régime de base plafonné à prestations définies et un régime complémentaire obligatoire plafonné fonctionnant par capitalisation au 1er dirham. Ceux du secteur privé devront avoir un régime de base à plafond bas couvrant les travailleurs salariés et non salariés et des régimes complémentaires facultatifs.
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La commission a également préconisé d’entamer la réforme paramétrique du régime des pensions civiles et de lancer une étude pour l’élargissement du système de retraite aux travailleurs non salariés
Capitaliser sur les acquisDepuis 2013, les pouvoirs publics se sont engagés dans un processus de réforme visant surtout à rétablir les équilibres des régimes et à préparer la mise en place du système à deux pôles. En 2016, une réforme paramétrique du régime des pensions civiles de la CMR a été menée permettant de repousser l’horizon de viabilité du régime de 2022 à 2028.
S’en est suivi l’adoption, en 2017, de la loi n°99-15 instituant un régime de pensions au profit des travailleurs non salariés et sa mise en application en 2020, le lancement de l’étude sur la réforme de la retraite en 2019, et puis le démarrage de la réforme paramétrique du Régime collectif d'allocation de retraite (RCAR) par l’amendement des décrets le régissant.
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Des régimes «très hétérogènes»S’inscrire dans la continuité de ces réformes «partielles» est une ambition affichée par les différentes parties prenantes. Ces dernières devront faire face à plusieurs problèmes de taille pour parvenir à un système à deux pôles, notamment l’hétérogénéité des régimes marocains de retraites.
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Cela se manifeste au niveau des paramètres de fonctionnement des caisses de retraites. Le taux de cotisation, à titre d’exemple, est de 28% pour la CMR, assuré à parts égales par le salarié et le patronat, de 18% pour la RCAR et 11,89% pour la CNSS. Le salarié s’acquitte d’un tiers contre deux tiers pour le patronat.
Une hétérogénéité des pensions moyennes est aussi à relever. Les retraités affiliés à la CNSS perçoivent une pension mensuelle moyenne de 2.022 dirhams, 5.678 dirhams au RCAR et 7.873 à la CMR.
Aussi, les pensions de retraite ne sont pas plafonnées à la CMR, alors qu’elles le sont à hauteur de 19.000 dirhams au RCAR et 6.000 dirhams à la CNSS.
Santé financière «compromise»Une autre pierre d’achoppement: les trois caisses de retraites connaissent un véritable problème financier. Selon les données de l’année 2021, relevées dans la présentation de la ministre de l’Economie et des Finances, les trois caisses connaissent un déficit du solde technique (l’écart entre les cotisations et les prestations versées).
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Ceci est plus criant pour les caisses du pôle public. La CMR génère un déficit technique de 7,8 milliards de dirhams. A la suite de la réforme paramétrique engagée en 2016, la date d’épuisement des réserves de la caisse (68 milliards de dirhams) a été repoussée à 2028 au lieu de 2022. Elle aura besoin de trésorerie de 14 milliards de dirhams par an à partir de cette date.
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Selon le même document, le régime des pensions civiles est équilibré pour les droits futurs, la dette implicite (238 milliards de dirhams) étant composée pour l’essentiel des droits passés.
La deuxième caisse du pôle public, le RCAR enregistre un déficit technique de 3,3 milliards de dirhams. En revanche, ce déficit est compensé par les produits financiers de la caisse, ainsi que ses réserves qui s’élèvent à 135 milliards de dirhams.
Face à cette situation financière compromise, «seule la mise en place du pôle public permettra de solutionner à la fois la problématique de trésorerie de la CMR et des déséquilibres structurels du RCAR», lit-on dans le même document.
L’urgence d’une réforme de la CNSSS’agissant du pôle privé, la CNSS dégage un déficit technique de 0,375 milliard de dirhams. Selon le rapport, ce régime a encore des marges pour une réforme paramétrique, il commencera à puiser dans ses réserves prochainement, mais son horizon de viabilité demeure relativement éloigné (2038).
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Et de souligner que les difficultés de ce régime sont masquées par le moteur démographique qui ramène de la trésorerie à court terme, mais aggrave sa dette implicite.
Il est aussi masqué par l’iniquité de la caisse où l’ouverture des droits à une pension nécessitait le cumul de 3.240 jours, soit l’équivalent de 15 ans d’activité en moyenne. Il est à rappeler, sur ce point, qu’une décision a été prise dans le cadre du premier round du dialogue social pour baisser cette période à 1.320 jours avec le droit de récupérer également les cotisations patronales.
«Une fois ce moteur démographique essoufflé, la situation du régime va s’aggraver très rapidement pour atteindre des niveaux alarmants d’où l’urgence de la réforme de la CNSS», préconise-t-on dans la présentation.