Essaouira se prépare à devenir, une fois encore, un carrefour universel de la tolérance et du dialogue. Porté par l’association Les Guerrières de la Paix, le Forum mondial des femmes pour la paix revient pour une deuxième édition les 19 et 20 septembre 2025. L’événement entend dépasser le cadre d’une simple rencontre en posant les bases d’un mouvement global, porté par des femmes issues de régions meurtries par les conflits, mais animées par la conviction qu’une autre voie est possible.
Le choix d’Essaouira n’est pas anodin, explique l’association dans une présentation de l’événement. Cette ville, marquée par une mémoire plurielle où coexistent depuis des siècles cultures musulmane, juive, arabe, berbère et européenne, incarne un idéal de vivre-ensemble et d’ouverture. Elle est ainsi devenue le symbole d’une paix enracinée dans l’histoire et tournée vers l’avenir. Après une première édition en mars 2023 qui avait suscité un écho international, la cité des alizés confirme son rôle de phare d’un dialogue interculturel et interreligieux. Voici les moments marquants de la précédente édition:
À l’échelle du pays, le Maroc s’affirme comme un acteur naturel de cette diplomatie citoyenne. Situé au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et du Moyen-Orient, fort de sa tradition d’hospitalité et de sa diversité culturelle, il offre un cadre unique pour accueillir ce type d’initiative internationale.
Des voix venues de zones de conflit
Créées en 2022 en France par Hanna Assouline, écrivaine franco-marocaine de confession juive, Les Guerrières de la Paix se sont donné pour mission de porter, par-delà les frontières et les identités, une cause universelle: celle d’une paix juste, inclusive et durable. À ce titre, le Forum réunira des figures féminines marquantes, toutes investies dans les combats pour la paix et les droits humains. Parmi elles, les Palestiniennes et Israéliennes présentes incarneront, chacune à leur manière, le courage de porter la réconciliation au-delà des haines et des clivages.
Côté palestinien, Huda Abu Arqob est une militante de premier plan. Directrice de l’Alliance pour la paix au Moyen-Orient (ALLMEP), elle coordonne un vaste réseau d’organisations de la société civile qui œuvrent au rapprochement entre Palestiniens et Israéliens. Engagée depuis de nombreuses années dans des initiatives de coexistence, elle défend une approche pragmatique où les communautés s’emparent elles-mêmes du processus de paix. À ses côtés, Hiba Qasas, ancienne responsable onusienne, incarne la dimension internationale de cet engagement. Directrice de la Fondation Principles for Peace, elle s’attache à bâtir de nouveaux cadres de réflexion sur la paix, loin des logiques d’affrontement. Depuis les tragiques événements d’octobre 2023, elle a initié le projet Uniting for a Shared Future, travaillant directement avec des dirigeants palestiniens et israéliens pour repenser les bases d’un avenir commun, fondé sur la dignité, la sécurité et l’autodétermination.
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Du côté israélien, deux voix fortes répondront à cet appel. Achinoam Nini, plus connue sous le nom de scène Noa, est une artiste mondialement reconnue. D’origine yéménite et israélienne, elle s’est imposée comme l’une des rares chanteuses de renommée internationale à mettre son art au service du dialogue israélo-palestinien. Elle a fondé la Noa’s Ark Foundation et multiplié les projets artistiques et citoyens pour promouvoir la coexistence, notamment à travers son festival Re-Imagine Peace à Florence. À travers ses chansons et ses prises de parole, elle refuse l’instrumentalisation de la peur et défend un horizon de justice et de fraternité. À ses côtés, Nava Hefetz, rabbine indépendante et membre de Rabbis for Human Rights, apporte une perspective spirituelle et éthique au combat pour la paix. Fondatrice du centre GEOME (Religions et géopolitique), elle a mis en place de nombreux programmes d’éducation aux droits humains en Israël et dans les Territoires palestiniens. Son engagement en faveur des demandeurs d’asile africains, notamment érythréens et soudanais, l’a également conduite à fonder Miklat Israel, un refuge pour populations vulnérables. Son action en faveur du dialogue israélo-palestinien lui a valu une nomination au Prix Nobel de la Paix.
Aux côtés des Palestiniennes et des Israéliennes, d’autres voix puissantes viendront enrichir les débats. L’Afghane Fatemeh Jailani, directrice des opérations de l’organisation internationale SINGA, incarne une génération cosmopolite nourrie à la fois par une éducation occidentale et un héritage oriental. Son parcours l’a menée très tôt à s’intéresser aux enjeux de migration, d’inclusion et d’intégration des réfugiés, des causes auxquelles elle consacre désormais toute son énergie.
L’Iranienne Aïda Tavakoli, présidente de l’association We Are Iranian Students, s’est imposée comme l’une des figures emblématiques du mouvement Femme, Vie, Liberté né après la mort de Mahsa Amini en 2022. Porte-voix d’une jeunesse iranienne en exil, elle milite sans relâche pour la démocratie, la liberté et les droits des femmes dans son pays d’origine.
Le Libéria sera représenté par Grâce Jackson, militante de la première heure pour la paix et la justice de genre. Actrice clé de la fin de la guerre civile aux côtés de Leymah Gbowee et Ellen Johnson Sirleaf, elle a contribué à bâtir les bases de la réconciliation nationale, ce qui lui vaut aujourd’hui une reconnaissance internationale.
L’Afrique de l’Ouest sera également présente à travers Ken Bugul, écrivaine sénégalaise mondialement connue, qui place la culture et l’éducation au cœur de son combat féministe. Pour elle, la transmission des savoirs est une arme redoutable contre l’oppression et l’aliénation.
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Enfin, le Maroc sera dignement représenté par Fatna El Bouih, ancienne détenue politique devenue l’une des grandes figures féministes du pays. Fondatrice d’associations de défense des droits des prisonniers et auteure du récit Une femme nommée Rachid, traduit en plusieurs langues, elle incarne une mémoire vivante des luttes pour la dignité, l’égalité et les droits humains.
Naissance d’une alliance féminine pour la paix
La rencontre d’Essaouira ne se limitera pas à ces témoignages. Elle sera le théâtre d’un moment important: l’acte fondateur de l’Alliance internationale des femmes pour la paix, une organisation inédite qui s’inscrit dans la lignée de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies sur les femmes, la paix et la sécurité. Adoptée en 2000, cette résolution reconnaît enfin le rôle central des femmes dans la prévention et la résolution des conflits. Le forum ambitionne de transformer cette reconnaissance juridique en réalité politique et militante, à travers un réseau mondial de femmes engagées.
Au-delà des deux jours de rencontres, l’événement marquera aussi la création d’un bureau permanent des Guerrières de la Paix à Essaouira. Ce lieu deviendra un espace de dialogue, de travail et de rayonnement, destiné à nourrir une solidarité féministe internationale et à donner une continuité aux actions menées.
Deux temps forts rythmeront également le programme: une table ronde sur la construction d’un nouveau narratif de paix, pour dépasser les discours guerriers dominants, et un atelier jeunesse consacré au vivre-ensemble, qui impliquera directement les écoles et les associations souiries. L’idée est d’ancrer cette dynamique dans les générations futures et de transmettre le flambeau de la paix à la jeunesse.
La tenue du forum coïncidera avec l’Assemblée générale des Nations unies à New York. Alors que les dirigeants du monde débattront dans les enceintes diplomatiques, Essaouira fera entendre une autre voix: celle des femmes et de la société civile. Un contrepoint symbolique qui rappelle que la paix n’est pas seulement l’affaire des États, mais aussi celle des citoyennes et citoyens engagés.