Le 22 septembre, la France reconnaîtra la Palestine comme un État indépendant. La Palestine pourrait ainsi entrer un jour à l’ONU en tant qu’Etat avec les obligations qui découlent d’un tel statut, deux grands pays membres du Conseil de sécurité, France et Royaume-Uni donnant leur accord. Cette évolution, quoi qu’on en pense, est largement due à l’initiative de la France et du président de la République qui a décidé de franchir le pas et a convaincu un certain nombre de pays de le suivre. L’Australie, la Belgique, le Canada et le Royaume-Uni suivront en effet la France dans cette démarche. Ces cinq pays s’ajoutent à la liste des pays qui ont déjà reconnu la Palestine. Seuls 24 pays refusent aujourd’hui de la reconnaître, parmi lesquels les États-Unis, l’Allemagne et l’Italie.
Plusieurs décennies après le vote de la résolution 181 de l’ONU en 1947, aboutissant au partage de la Palestine d’alors sous mandat britannique, une nouvelle étape, solennelle, pourrait aboutir ainsi à la création d’un nouvel Etat, à côté de celui d’Israël. De nombreux changements ont eu lieu depuis 1947, dont le moindre ne fut pas la création de l’OLP en 1964, les quatre guerres qui se sont succédé (1948, 1967, 1973 et la toute récente guerre depuis le 7 octobre 2023). C’est justement cette guerre qui a précipité les évènements, la montée d’un antisémitisme alimenté par les partisans du Hamas en même temps qu’un soutien débridé au mouvement «Free Palestine». Quelle sera donc la Palestine qui sera reconnue comme État le 22 septembre? Un État dominé par le Hamas qui ne pourra être que l’ennemi mortel d’Israël? Un État dominé par l’OLP qui prolongera le système actuel géré par Mahmoud Abbas? Un État de type nouveau un peu à l’image de ce que fut la CEE puis l’UE aux États européens, une construction «sui generis» sous la tutelle politique et financière des États du Golfe par exemple?
La décision française est pleine de risques, d’une part car le président de la République a finalement renoncé aux conditions qu’il avait posées précédemment, notamment la libération des otages israéliens, d’autre part parce qu’elle risque d’alimenter une nouvelle vague d’antisémitisme en France et en Europe simplement parce qu’elle sera vue comme la consécration du Hamas. On oublie que le 22 septembre, jour de cette reconnaissance, est aussi la fête juive de Roch Hachana, le nouvel an juif. La coïncidence ne pouvait plus mal tomber.
Mais un autre aspect de cette décision mérite l’attention: la position de l’Algérie vis-à-vis de cette initiative. On se rappelle que, dans une interview au journal L’Opinion, le 3 février 2025, le président Tebboune avait dit la chose suivante: en réponse à la question de l’excellent connaisseur qu’est Pascal Airault: «Seriez-vous prêt à normaliser vos relations avec Israël si la relance du processus de paix aboutit au final à la création d’un Etat palestinien?»
«Bien sûr, le jour même où il y aura un État palestinien. Ça va dans le sens de l’histoire. Mes prédécesseurs, les présidents Chadli et Bouteflika, avaient déjà expliqué qu’ils n’avaient aucun problème avec Israël. Notre seule préoccupation, c’est la création de l’État palestinien». On serait tenté de dire à A. Tebboune: «chiche».
On attend donc avec impatience que, le 22 septembre, l’Algérie mette à exécution la décision de son chef de l’État et reconnaisse à son tour solennellement l’État d’Israël et établisse avec ce dernier des relations diplomatiques, l’ouverture d’une ambassade d’Algérie à Tel-Aviv! Tebboune a même fixé un calendrier précis en indiquant que la reconnaissance aurait lieu «le jour même»! La reconnaissance d’Israël par l’Algérie constituerait en effet une avancée majeure et aurait certainement un effet d’entrainement vis-à-vis d’autres États. Le Maroc a déjà reconnu Israël et Alger avait alors rompu avec Rabat, accusant son voisin de «trahison» et «d’espions sionistes avec des passeports marocains»!
Pourtant, Bouteflika avait déjà fait quelques ouvertures en ce sens, avançant déjà l’idée que le jour où existerait un État palestinien, l’Algérie pourrait reconnaître Israël. De même, aux obsèques d’Hassan II, le président algérien avait croisé le Premier ministre israélien comme il le fit plus tard à Paris, lors de la constitution de l’Union pour la Méditerranée.
Las! Il semble clair que ces propos prononcés en février dernier n’étaient que des paroles de circonstance, des propos d’estrade lancés à l’opinion publique française et non destinés à la consommation intérieure algérienne. Car en effet, ce qui ressort en premier lieu, c’est surtout l’antisémitisme d’État de l’Algérie. Un peu plus loin, dans l’interview précitée du 3 février, Tebboune, en réponse à une autre question sur l’antisémitisme algérien, n’hésitait pas à répondre:
«Y a-t-il un problème avec l’histoire juive de l’Algérie? Non, c’est de l’ordre de la polémique. L’Algérie a accueilli plusieurs communautés et religions durant les derniers millénaires, y compris les juifs qui font partie intégrante de l’histoire de l’Algérie.» On ne saurait mieux mentir; car tous ceux qui connaissent un tant soit peu l’Algérie savent que les juifs ont quasiment tous quitté ce pays en 1962 ou après et que seule une poignée d’entre eux, quelques dizaines tout au plus, sont restées en Algérie. La haine des juifs associée à la détestation de «l’entité sioniste» (sic), fait partie intégrante du catalogue de la politique étrangère de l’Algérie, dont Abdelmadjid Tebboune se veut le héraut.
On peut parier qu’il n’y aura donc pas de reconnaissance de l’État d’Israël par l’Algérie, malgré les propos tenus (très imprudemment) par son Président, car ce dernier sait bien qu’il aura contre lui une opinion publique chauffée à blanc et vaccinée par l’antisémitisme d’État en Algérie. C’est sans doute ce point qui est inquiétant: une telle ouverture se heurtera en Algérie d’une part à une opinion publique anti-israélienne et d’autre part à un cercle de politiciens recyclés, du FLN, MSP ou autres islamistes, qui s’indigneraient d’une telle initiative.