La grande évasion de Nacer El Djinn en Espagne confirmée: le régime d’Alger au bord de l’explosion

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune avec le chef d’état major de l’APN, Saïd Chengriha, à Alger, le 5 juillet 2022.

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune avec le chef d’état-major de l’APN, Said Chengriha, à Alger, le 5 juillet 2022.

Parti comme un simple «harrag», mais avec les secrets d’un État dans ses valises, l’ex-patron du renseignement intérieur Abdelkader Haddad, alias Nacer El Djinn, a humilié Tebboune et Chengriha en fuyant en Espagne. Sa cavale, digne d’un roman noir, déshabille un système miné par la paranoïa, les luttes de clans et l’incapacité à contenir ses propres monstres.

Le 26/09/2025 à 08h02

Il est parti comme un «harrag», un clandestin, mais avec les secrets d’un État dans ses valises. À bord d’un hors-bord, à l’aube, Abdelkader Haddad, alias Nacer El Djinn, l’un des généraux les plus redoutés d’Algérie, a traversé la Méditerranée pour rejoindre Alicante, en Espagne. C’était entre le 18 et le 19 septembre derniers et c’est désormais confirmé… par un des plumitifs du régime algérien à l’étranger. Nommons l’ancien journaliste espagnol Ignacio Cembrero qui en fait part dans un article publié dans El Confidencial. Il aura donc fallu que ce soit un des mercenaires de l’Algérie qui brise le silence, aussi officiel qu’assourdissant, du régime sur une affaire devenue une humiliation retentissante. Un ancien patron de la toute-puissante DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) a cassé son assignation à résidence. En cavale, il a «brûlé» en Espagne, et il est prêt à parler.

Haddad n’est pas un simple déserteur. Il a tenu entre ses mains les clés de la machine sécuritaire du pays. Nommé à la tête de la DGSI en 2024 par Abdelmadjid Tebboune lui-même, il était censé verrouiller le système, pas le dynamiter. Mais en Algérie, les généraux grimpent vite… et tombent plus vite encore. Quelques mois après sa promotion, il était limogé, emprisonné, puis assigné à résidence à Alger. Officiellement, personne ne savait pourquoi. Officieusement, il aurait touché de trop près aux réseaux de corruption liés aux proches de Tebboune.

Sous étroite surveillance, le général a pourtant réussi l’impensable: s’évader. À son arrivée en Espagne, et d’après Cembrero, il aurait même lâché: «J’allais être assassiné avant mon procès, et on aurait maquillé ma mort en suicide». Une accusation qui sonne comme une gifle pour Tebboune et le chef d’état-major, Said Chengriha. Car Haddad n’est pas un soldat lambda. Formé dans la sale guerre des années 90, accusé d’exactions, mais aussi réputé fin stratège, il connaît les arcanes du pouvoir militaire. Ses dossiers, s’ils sortent, pourraient réduire à néant le régime et son vernis. «Loup solitaire, spécialiste de l’infiltration des groupes armés, homme de terrain et non pas de bureau, ce gaillard aux yeux vitreux sait parfaitement se mouvoir dans un milieu hostile, connaît les techniques pour déjouer surveillances et filatures et possède assez de ressources financières pour s’acheter les moyens d’une fuite. Grand connaisseur du système politico-militaire, il sait qu’une disgrâce est généralement suivie de la case prison. Et bien sûr d’une interdiction de quitter le sol national, qui équivaut à un enfermement dans une prison à ciel ouvert», écrit le journaliste algérien Farid Alilat dans les colonnes du magazine français Le Point.

Alger en état de siège

La réaction ne s’est pas fait attendre. À Alger, la traque a viré au spectacle de panique: hélicoptères, barrages routiers, descentes dans les quartiers. Une capitale paralysée, rappelant les heures sombres de la décennie noire. Mais l’opération fut vaine. Le Djinn avait déjà disparu dans la nature, et le pourvoir comme la presse se sont murés dans le silence. Seuls les réseaux sociaux bruissaient de rumeurs.

L’Espagne sert depuis longtemps de planque aux barons militaires algériens. Le général Khaled Nezzar s’y était réfugié en 2019, avant de rentrer à Alger peu avant sa mort. D’autres, moins chanceux, y ont trouvé une fin tragique. Alicante est ainsi devenue la «poubelle dorée» du haut commandement algérien. Le général-major Habib Chentouf (ancien commandant de la première région militaire) coule à Alicante des jours heureux. Quand le pouvoir se retourne contre eux, les généraux filent sur la Costa Blanca.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’El Djinn échappe au contrôle du régime pour se terrer en Espagne. En 2022, déjà, il avait trouvé refuge à Alicante avant d’être discrètement «rapatrié» et réhabilité. Ce précédent, passé sous silence, illustre la difficulté chronique du pouvoir à maîtriser ses propres créatures. Que deux ans plus tard, le même homme réussisse à reprendre la route de l’exil pour la même destination, en dépit des dispositifs renforcés et de la surveillance rapprochée dont il faisait l’objet, dit tout du degré de fragilisation d’un appareil sécuritaire autoproclamé infaillible. Le résultat est une radiographie du régime algérien: un système militaire qui dévore ses propres hommes, où les chefs d’hier deviennent les prisonniers de demain. Aujourd’hui, plus de 200 officiers supérieurs, dont une trentaine de généraux, croupissent dans les geôles du pays. Personne n’est à l’abri.

La boîte de Pandore

Mais cette fois, l’évasion d’un ex-patron du renseignement frappe au cœur du pouvoir. Car Nacer El Djinn, fidèle puis renié, connaît trop de secrets. Et Tebboune, tout comme Chengriha, savent qu’un général humilié et en fuite est bien plus dangereux qu’un ennemi déclaré. La confirmation de sa fuite est en cela un séisme politique qui expose la fragilité d’un régime bâti sur l’opacité, la manipulation et le contrôle autoritaire. En moins d’une semaine, l’affaire a révélé les fissures d’un pouvoir militaire-présidentiel qui ne tient debout que par la mise en scène, et qui n’a pas hésité à plonger Alger dans une atmosphère de panique avant d’opérer un virage dans le silence le plus total.

Abdelkader Haddad, alias Nacer El Djinn, ancien patron de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

L’information est d’autant plus lourde qu’elle contredit formellement la version soufflée dans certains milieux le 21 septembre et qui faisait état d’une arrestation volontaire et d’une «reddition négociée». La levée précipitée du dispositif sécuritaire autour d’Alger et de ses wilayas périphériques (Blida, Boumerdès, Tipaza) a renforcé les soupçons. Mais si El Djinn avait réellement été arrêté, le régime se serait empressé d’exhiber ce trophée. À l’inverse, il a choisi le mutisme. Or, dans un système où la propagande officielle bombarde habituellement d’images et de communiqués la moindre «victoire» sécuritaire, ce silence est le plus éloquent des aveux du désastre.

Pour l’anecdote, et pendant que l’ancien chef du contre-espionnage traversait la Méditerranée, le chef d’état-major Said Chengriha mettait en scène une visite à Tébessa, félicitant ses hommes au prétexte d’une opération antiterroriste et jurant que l’unité de l’armée et du président Abdelmadjid Tebboune restait intacte. Images officielles, discours martiaux, congratulations protocolaires: tout était orchestré pour faire oublier la réalité d’une panique qui avait, deux jours plus tôt, paralysé routes, ports et même pêcheurs de la région d’Alger.

Mais cette opération de communication ne masque pas l’essentiel. La fuite d’El Djinn est l’un des plus grands échecs de sécurité nationale de ces dernières décennies. Et le pire est à craindre pour le régime. El Djinn, cerveau de l’antiterrorisme des années 1990, patron de la DGSI et détenteur de dossiers explosifs sur la corruption, la fraude généralisée des élections présidentielles et les réseaux d’infiltration, est une véritable mémoire vivante du régime.

Le Polisario, l’Iran et les autres

Parmi les grands dossiers, figure naturellement le soutien multiforme du «Système» au front séparatiste Polisario, au détriment même des Algériens, mais aussi les liens entre le régime d’Alger, l’Iran et le Hezbollah libanais. Revenant sur la grande évasion de Haddad, la revue italienne à grand tirage, Panorama, s’attarde longuement sur cet aspect. Ces informations qui, «si elles étaient révélées, risqueraient de fissurer l’échafaudage géopolitique construit par Alger au cours des dernières décennies, projetant l’instabilité non seulement au Maghreb, mais aussi dans tout le Sahel», estime la revue italienne, relevant que le général connaît tous les détails de la gestion occulte des caisses noires, des jeux internes entre le président Tebboune et le chef d’état-major Said Chengriha, et surtout de la stratégie extérieure qui fait de l’Algérie un acteur clé dans la déstabilisation du Sahel.

Pour Panorama, le soutien au Polisario n’est pas seulement une bataille diplomatique contre le Maroc: il s’agit, selon la revue, d’un élément d’une stratégie plus large qui voit Alger s’engager à maintenir l’instabilité dans la ceinture sahélienne afin d’exercer un rôle hégémonique. «Grâce à ses réseaux de renseignement, l’Algérie a fourni au fil des ans un soutien logistique, des armes et un refuge à des groupes armés opérant entre le Mali, le Niger et la Mauritanie», lit-on encore. Les camps de Tindouf sont ainsi devenus un carrefour de trafics illicites et une base opérationnelle pour les milices qui déstabilisent la région, indique la publication.

Braquant les projecteurs sur l’Iran, Panorama estime que ce dernier pays fait partie de ce puzzle. Téhéran entretient depuis des années des relations étroites avec le Polisario et les hauts responsables militaires algériens, précise le magazine, ajoutant que l’Iran a trouvé en Alger un partenaire stratégique pour étendre son influence en Afrique du Nord, reproduisant au Maghreb le modèle déjà expérimenté au Moyen-Orient avec le Hezbollah et les milices chiites. La coopération entre les Pasdaran et le Polisario, médiée par les services algériens, s’est intensifiée ces dernières années avec la fourniture de drones et la formation paramilitaire, note encore la revue, soulignant que pour l’Iran, le soutien aux «séparatistes sahraouis» est un moyen d’affaiblir le Maroc, historiquement proche des États-Unis et d’Israël, et d’ouvrir en même temps un nouveau front de pression sur l’Europe via la route migratoire sahélienne. Autant dire que le départ d’El Djinn est une déflagration.

Les événements des 18 et 19 septembre l’ont prouvé. Le régime a craint une tentative de coup d’État. L’ampleur du déploiement sécuritaire, la mise en alerte maximale et les blocages quasi totaux de la capitale ne peuvent être réduits à un «exercice tactique». Le système Tebboune-Chengriha a tremblé. Et s’il a rapidement levé le dispositif, c’est parce qu’il a compris que le danger ne se trouvait plus sur le territoire. La panique n’a pas été seulement militaire. Elle a aussi été politique. Dans les chancelleries étrangères présentes à Alger, on s’interrogeait déjà sur la stabilité du pouvoir. Les rumeurs d’un putsch imminent circulaient, confirmant à quel point l’image d’un régime verrouillé, soudé et invulnérable ne tient plus. Le mutisme actuel du pouvoir n’est pas une stratégie, mais un aveu d’impuissance. Car le problème n’est pas seulement la fuite d’un général. C’est la fuite d’un homme qui incarne à lui seul trente-cinq ans de secrets, de compromissions et de violences.

Chaque seconde de son exil est une menace pour le régime. Car El Djinn dispose d’armes autrement plus dangereuses que celles des militaires: des dossiers. S’il parle, c’est toute la façade qui s’effondre. C’est pourquoi, selon le journaliste algérien en exil en France, Abdou Semmar, des négociations discrètes auraient été engagées pour «acheter son silence» et le pousser à disparaître loin des radars. Mais dans un pays où l’opacité est devenue la règle, cette affaire a déjà fait l’essentiel. Elle a fissuré le mur de peur et montré que même le cœur du Système est menacé d’un arrêt imminent.

Par Tarik Qattab
Le 26/09/2025 à 08h02