Le récit commence au 14ème siècle, quand Ibn Batouta quitte Tanger pour parcourir le monde. Ses pas le mènent jusqu’en Inde, dont il décrit la richesse et la diversité. Il ne pouvait deviner que, sept siècles plus tard, son voyage deviendrait une sorte de fil conducteur symbolique entre deux nations désormais liées par plusieurs projets communs.
C’est à la fin des années 1990 que la relation prend un vrai tournant. En février 1999, le Premier ministre Atal Bihari Vajpayee foule le sol marocain. L’année suivante, Abderrahman El Youssoufi se rend à New Delhi, rappelle un document exhaustif publié par l’ambassade de l’Inde au Maroc.
En 2001, le roi Mohammed VI choisit l’Inde comme première destination asiatique de son règne. Le message est on ne peut plus clair: Rabat et New Delhi veulent écrire une histoire commune. Depuis, les visites n’ont cessé de se multiplier.

Le roi Mohammed VI échange avec le Premier ministre indien Narendra Modi à New Delhi le 29 octobre 2015, lors du sommet Inde-Afrique, confirmant la place du Maroc comme interlocuteur privilégié du géant asiatique sur le continent.
On dénombre depuis près d’une trentaine de visites et d’échanges ministériels, ainsi que la signature de plus de 40 protocoles d’accord et conventions dans des domaines aussi variés que la lutte contre le terrorisme, la cybersécurité, l’espace, l’agriculture ou encore la formation professionnelle.
Commerce: des records malgré des ralentissements passagers
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2019-2020, les échanges commerciaux bilatéraux atteignent 1,75 milliard de dollars. L’année suivante, ils progressent à 1,9 milliard. En 2021-2022, la barre des 3,2 milliards est franchie et, en 2022-2023, un record historique est établi avec 3,6 milliards de dollars. Certes, l’exercice 2023-2024 marque un repli à 2,4 milliards, mais la tendance repart déjà à la hausse en 2024-2025, où les échanges atteignent 2,55 milliards de dollars, souligne le document.
L’Inde a, par ailleurs, vu ses exportations vers le Maroc bondir de plus de 105% en deux ans, preuve de l’élargissement du partenariat économique. Rabat est désormais une destination privilégiée pour des produits nouveaux venus de New Delhi, tels que les téléphones portables, les produits pétroliers ou même le miel. Ces nouveautés s’ajoutent aux piliers traditionnels du commerce bilatéral, parmi lesquels figurent les pièces automobiles, les produits électroniques, les textiles, les biens d’ingénierie, les produits chimiques et chimiques de spécialité, les plastiques et les épices.
En miroir, le Maroc conserve un rôle stratégique pour l’économie indienne. Ses exportations se concentrent sur des matières premières essentielles, à savoir le phosphate, l’acide phosphorique, les minerais métalliques, les produits chimiques inorganiques ou encore quelque métaux.
Évolution des échanges commerciaux entre le Maroc et l’Inde (Source: ministère indien du Commerce et de l’Industrie)
Année | Exportations de l’Inde (millions de dollars) | Importations de l’Inde (millions de dollars) |
---|---|---|
2017-18 | 432,32 | 779,63 |
2018-19 | 680,06 | 1.326,69 |
2019-20 | 799,45 | 952,54 |
2020-21 | 507,62 | 1.436,82 |
2021-22 | 962,28 | 2.244,19 |
2022-23 | 1.047,15 | 2.549,44 |
2023-24 | 1.032,58 | 1.404,28 |
2024-25 | 967,05 | 1.590,40 |
Le commerce classique ne suffit plus. Les deux pays se projettent dans l’avenir. L’énergie, d’abord. En 2022, le National Thermal Power Corporation (NTPC) et MASEN signent un accord sur les énergies renouvelables. L’hydrogène vert devient un horizon commun. En 2023 et 2024, des responsables marocains suivent des formations en Inde pour maîtriser les technologies de transition énergétique.
L’agriculture, ensuite. En avril 2025, au Salon international de l’agriculture de Meknès, l’Inde met en avant sa National Cooperative Exports Limited, destinée à renforcer les exportations agricoles.
Le numérique, enfin. Marrakech accueille Gitex Africa. Plus de 45 startups indiennes participent à cet événement continental en 2024, venues présenter leurs innovations en edtech, fintech et cybersécurité. Casablanca, avec son Centre d’excellence en technologies de l’information, forme déjà près de 700 étudiants marocains, ajoute l’ambassade.
Défense: Casablanca, puis Berrechid
La coopération militaire a d’abord pris la forme d’exercices navals conjoints. «Les navires de la Marine indienne effectuent régulièrement des escales au Maroc dans le cadre de visites de courtoisie. La nouvelle frégate de classe Talwarde de la Marine indienne, l’INS Tamal, a fait escale au port militaire de Casablanca du 6 au 9 août 2025, lors de son voyage inaugural de Kaliningrad vers l’Inde», peut-on lire.
À son départ, l’INS Tamal a mené un exercice PASSEX avec la Marine royale marocaine. Le document rappelle, par ailleurs, que l’INS Tushil avait déjà accosté à Casablanca en décembre 2024 et réalisé un exercice similaire avec les forces navales marocaines. «L’INS Tabar, pour sa part, avait séjourné à Casablanca du 8 au 11 juillet 2024 et conduit également un PASSEX avec la Marine royale. Plus tôt, en septembre 2023, l’INS Sumedha et le navire marocain L C Arrahmani (501) avaient mené un exercice de partenariat maritime (MPX). En juillet 2022, l’INS Tarkash avait réalisé un exercice de patrouille maritime (MPX) avec le navire Hassan II de la Marine royale, au large du port de Casablanca», détaille-t-on.
En juin 2025, une délégation du prestigieux National Defence College indien, conduite par le général de division Ajay Kumar Singh, fait escale au Maroc. Seize officiers supérieurs, dont cinq venus d’Indonésie, du Bangladesh, des Maldives, d’Oman et des Émirats arabes unis, l’accompagnent dans ce voyage. Pendant une semaine, du 1er au 7 juin, ils multiplient les échanges avec la haute hiérarchie militaire marocaine. Objectif: explorer de nouveaux horizons de coopération et identifier des terrains communs pour bâtir un partenariat de défense plus solide.
Leur tournée les mène d’abord au Collège royal de l’enseignement militaire supérieur (CREMS) de Kénitra, où ils découvrent les méthodes de formation et les tactiques de combat des Forces armées royales. Puis cap sur Tanger Med, vitrine portuaire et stratégique du Royaume, avant une étape à la zone industrielle Midparc de Casablanca. Entre infrastructures de classe mondiale et potentiel industriel, les visiteurs indiens prennent la mesure de ce que représente le Maroc comme hub régional en matière de défense et de logistique.
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Ce n’est pas la première fois que Rabat accueille une telle délégation. En juin 2024, une équipe de 17 officiers du même collège avait déjà parcouru le Royaume. Leur programme les avait menés à Rabat, au port de Tanger Med, à l’École royale navale de Casablanca, sans oublier un échange avec des responsables du ministère des Affaires étrangères, venus détailler les grandes lignes de la diplomatie du Maroc.
Quelques mois plus tard, en décembre 2024, Rabat abrite un séminaire dédié à l’industrie de défense. Plusieurs entreprises indiennes y présentent leur savoir-faire, leurs produits et leurs technologies aux Forces armées royales. Une manière concrète de donner un prolongement industriel aux discussions stratégiques, et de rappeler que la coopération militaire entre le Maroc et l’Inde ne se limite plus aux visites protocolaires, mais se projette désormais dans l’économie et l’industrie.
Puis vient l’étape décisive. Les 22 et 23 septembre 2025, Rajnath Singh, ministre indien de la Défense, est l’invité de Abdellatif Loudiyi, ministre délégué chargé de l’administration de Défense nationale. Le moment fort a lieu à Berrechid, avec l’inauguration d’une usine Tata Advanced Systems Ltd (TASL).
C’est une première historique, jamais une usine indienne de défense de cette envergure n’avait été installée à l’étranger. Les premières livraisons sont attendues dans 18 mois. L’usine produira le WhAP, un véhicule blindé de combat d’infanterie tout-terrain.
Lors de l'inauguration, mardi 23 septembre à Berrechid, de l'usine TATA Advanced Systems Maroc (TASM).
L’installation, portée par TASL Maroc, filiale à 100% du groupe indien, est aussi une première nationale. C’est la seule usine capable de fabriquer une plateforme blindée complète sur le sol marocain. Elle générera 90 emplois directs et environ 250 indirects.
Bollywood et yoga, la diplomatie culturelle en marche
Si la politique et l’économie structurent la relation, c’est la culture qui lui donne une âme. Bollywood fait partie du quotidien télévisuel marocain. Holi, chaque printemps à Casablanca, colore les rues. La Journée internationale du yoga transforme la Kasbah des Oudayas ou la mosquée Hassan II en scènes de méditation collective.
En 2023, Diwali s’invite à l’Université Mohammed V. En 2024, des arbres indiens sont plantés au Jardin exotique de Bouknadel. La diaspora indienne, forte d’environ 1.350 personnes établies à Casablanca, participe à entretenir cette proximité. Ces moments de partage font de l’Inde une présence familière, au-delà des chancelleries.
Au fond, ce que révèle l’histoire, c’est qu’entre Rabat et New Delhi, il ne s’agit plus seulement d’accords signés ou d’usines implantées, mais bien d’une trajectoire partagée. Ce qui, hier encore, relevait du voyage solitaire est devenu un chemin commun, jalonné d’investissements, de partenariats et d’échanges culturels. Une dynamique qui fait du Maroc et de l’Inde deux partenaires appelés à se retrouver, encore et toujours, sur la scène mondiale.