Said Chengriha, dealer en uniforme: les révélations d’un ex-diplomate algérien sur les laboratoires de drogue dure… et le paravent «Maroc»

Le chef d'état-major de l'armée algérienne Said Chengriha (gauche).

On le présente comme un patriote en treillis, mais c’est un trafiquant en chef. Depuis 2019, le chef d’état-major algérien Said Chengriha orchestre une tension permanente avec le Maroc, désigné «ennemi classique» pour détourner l’attention de son véritable terrain d’opérations: la drogue, les laboratoires clandestins, et un système mafieux au cœur même de l’armée. Mohamed Larbi Zitout, ancien diplomate algérien exilé à Londres, dévoile une réalité putride que les discours guerriers ne suffisent plus à cacher.

Le 25/09/2025 à 08h00

Dans un live diffusé sur YouTube le 23 septembre, Mohamed Larbi Zitout, ancien diplomate algérien et figure dissidente exilée à Londres, a lancé une charge sans précédent contre Said Chengriha, actuel chef d’état-major de l’armée. Il lui impute la dynamique de la tension entre l’Algérie et le Maroc depuis 2019: «Qui est derrière l’escalade sur le Sahara occidental et la brouille avec le Maroc?», se demande-t-il. Sa réponse est directe: «elle date de l’arrivée de Said Chengriha au pouvoir.»

Ce dernier n’a pas attendu d’occuper son poste actuel pour semer les graines de la haine. En retraçant la trajectoire de ce général, l’ex-diplomate souligne un tournant décisif en 2016, quand Chengriha a décidé de supplanter une constante diplomatique vieille de quarante ans. «La vérité c’est que Chengriha, en 2016, avait déclaré pour la première fois en Algérie que “l’ennemi classique“ est le Maroc». Une rupture majeure. Car, depuis Houari Boumediene, explique-t-il, jamais le Maroc n’avait été qualifié officiellement d’«ennemi». Jusqu’alors, la rhétorique algérienne «utilisait l’expression “ennemi historique“ pour la France», note Zitout. Cette mutation lexicale n’est pas anodine. Elle marque la volonté d’un homme, et d’une institution, de trouver un exutoire à la colère populaire et aux fragilités internes, mobilisant les foules pour «raviver un sentiment nationaliste» en chute libre et «préserver une unité» de façade. Le Maroc devient la diversion idéale, le paravent commode d’affaires autrement plus compromettantes. Mais lesquelles?

La 3ème région militaire de Béchar ou la base arrière d’un narcogénéral

Selon Zitout, «l’actuel chef d’état-major est impliqué depuis 2004 dans un large trafic de drogue, alors qu’il était commandant de la zone militaire de Béchar, et il existe bien des témoignages et de preuves». Chengriha aurait supervisé à l’époque «l’importation du kif» brut– toléré en Algérie– pour le transformer en haschisch dans des laboratoires clandestins. «Et Ahmed Gaid Salah était sur le point de l’emprisonner avant sa mort», glisse-t-il. La disparition soudaine de Gaid Salah, quelques semaines plus tard, mort d’une crise cardiaque, dit-on, continue d’alimenter les soupçons. En 2019, au moment où l’Algérie traverse une séquence de turbulences politiques majeures avec la chute de Bouteflika et le Hirak, Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major et figure centrale du système, a découvert l’ampleur des activités de son subordonné. Il avait «emprisonné 33 officiers qui furent soit radiés, soit incarcérés, dans le cadre de ce trafic de drogue orchestré par Said Chengriha». Tous appartenaient à la 3ᵉ région militaire de Béchar, sous la coupe de ce dernier. Ces révélations dessinent un tableau explosif.

Le cartel militaire de la drogue

Mais ce n’était que le prélude. La deuxième partie de l’histoire est encore plus immonde. Car Chengriha, une fois parvenu au sommet, a modernisé son trafic. Fini le kif artisanal. Place aux laboratoires, aux comprimés, aux drogues de synthèse. Il récupère l’existant et le développe maintenant qu’il est à la tête du pays, tolérant Abdelmadjid Tebboune à la présidence. D’après Zitout «L’armée algérienne, sous l’autorité de Chengriha, continue aujourd’hui de fabriquer dans des laboratoires secrets de la drogue dure proche du captagon syrien, des comprimés psychotropes de synthèse, dont une grande partie inonde l’Algérie et l’Afrique».

Ce ne sont plus de simples combines de soldats véreux. C’est une industrie de la démolition lente, méthodique, stratégique. Le cartel militaire contrôle désormais un circuit allant de la production à l’exportation. Ce que décrit Zitout, c’est l’entrée de l’armée dans une logique de vente à grande échelle, structurée autour d’unités de production secrètes. Il insiste: «Un jour prochain quand le peuple algérien va se libérer, tout cela sera révélé au grand jour». Et les Algériens sauront que «les comprimés psychotropes qui inondent l’Algérie sont produits localement en Algérie, dans des laboratoires situés notamment dans la région de Béchar».

Le lien entre géographie militaire et géographie du trafic devient alors central. Béchar, toujours elle, devient le point nodal d’un empoisonnement méthodique. Ces psychotropes— proches du captagon produit en Syrie par les services de Bachar al-Assad— ont une fonction double: enrichir les cercles dirigeants et désintégrer toute forme de jeunesse contestataire. Une guerre intérieure contre son propre peuple.

Zitout désigne sans détour le cerveau du système: «Cette drogue qui détruit la jeunesse algérienne est fabriquée sous l’autorité et la supervision de l’armée algérienne, et Said Chengriha est le grand mentor qui commande le juteux business». Pendant que les Algériens font la queue pour acheter de l’huile ou du lait, leurs généraux trafiquent des amphétamines en gros. Et ils osent parler de dignité nationale. L’armée n’est plus simplement complice, elle est entrepreneure. Elle produit, transporte, écoule. La jeunesse algérienne, déjà fragilisée par un chômage massif et une désespérance sociale chronique, se retrouve donc directement empoisonnée par les produits de ses propres généraux.

Et le trafic dépasse les frontières nationales. Zitout l’affirme: «c’est l’armée algérienne qui les exporte ensuite vers la Tunisie, le Maroc, la Libye, vers les pays africains, etc.». La contrebande devient transnationale, profitant de la porosité des frontières sahéliennes. «Il y a beaucoup d’argent brassé par l’armée dans ce trafic international, qui possède des laboratoires dédiés en Algérie», martèle l’ex-diplomate. Le pouvoir militaire, avec son visage martial, s’apparente à une structure opaque, à la croisée du cartel, de l’État profond et de la mafia.

Une guerre pour cacher un empire criminel

Les conclusions de Zitout sont implacables. La haine officielle contre Rabat ne serait pas l’expression d’une rivalité géopolitique séculaire, mais une stratégie de diversion. «La haine contre le Maroc qui a pris corps dans le discours officiel des caciques d’Alger est une couverture de plomb pour protéger le trafic de l’armée algérienne», explique-t-il.

En d’autres termes, désigner le Maroc comme menace permet de détourner l’attention des citoyens algériens, mais aussi des observateurs internationaux, des véritables enjeux: la corruption systémique et le rôle central de l’armée dans les trafics. «Il faut comprendre qu’un retour des relations entre le Maroc et l’Algérie allait éclabousser Chengriha et révéler son énorme business», tranche Zitout. Ce serait la fin de l’omerta, le début des enquêtes croisées, des échanges diplomatiques, peut-être même d’un appel d’air médiatique. Trop dangereux.

L’équation est claire: paix et ouverture seraient synonymes de révélations. D’où la nécessité de maintenir la tension, d’entretenir une atmosphère de guerre larvée. «Un retour de la liberté d’expression dans les médias et l’espace public en Algérie allait révéler immanquablement le scandale du trafic et le rôle majeur de Chengriha et de son armée», ajoute-t-il.

Depuis 2019, le statu quo est donc savamment entretenu. Le peuple algérien vit sous un couvercle de propagande, étouffé par un discours qui fait du Maroc le bouc émissaire. Pendant ce temps, une économie parallèle prospère, enrichissant une élite militaire coupée de la société et obsédée par sa propre survie.

Alors on ferme. On ferme les frontières, les ambassades, les micros, les gueules. Voilà pourquoi rien ne bouge. Voilà pourquoi la guerre avec le Maroc doit durer — même si elle est imaginaire. Depuis l’arrivée au pouvoir de Chengriha et de Tebboune, tout est figé. Le peuple est maintenu sous cloche, les médias muselés, l’armée sanctifiée. Le verbe militaire s’est substitué au droit, le mythe de l’ennemi à la vérité des comptes. Et pendant que les Algériens crient leur détresse ou fuient leur pays, une clique militaire encaisse les dividendes de la poudre, des pilules et du mensonge. Elle s’engraisse avec lâcheté.

Ce que nous révèle Mohamed Larbi Zitout n’est pas une affaire d’État. C’est une faillite morale. Un pays pris en otage par ceux qui prétendent le défendre. Une jeunesse brisée par ceux qui prétendent la protéger. Une diplomatie instrumentalisée par ceux qui ne servent qu’eux-mêmes.

Le Maroc? Ce n’est pas l’ennemi. C’est le décor. Le vrai danger, le vrai fléau, le vrai poison sont ailleurs: en treillis, dans les casernes, dans les laboratoires d’Alger, les coffres-forts de l’état-major, dans les silences forcés et les vérités enterrées. Le jour où le rideau tombera, on ne verra pas des héros de guerre. On verra des trafiquants. En uniforme.

Par Karim Serraj
Le 25/09/2025 à 08h00