Algérie: pour avoir déterré un énième crime de Boumédiène contre les Moudjahidine, le journaliste Farid Alilat a été expulsé de son pays

Le journaliste algérien Farid Alilat, Krim Belkacem et Houari Boumediene.

Le journaliste algérien Farid Alilat, et en arrière plan, le résistant algérien Krim Belkacem et l'ancien président algérien Houari Boumédiène. (Crédit: Youssef El Harrak / Le360).

On savait que l’Algérie était une vaste prison à ciel ouvert, où des milliers de citoyens, dont des opposants au régime, des responsables militaires ou civils tombés en disgrâce, des chefs de parti politique et des journalistes, sont sous le coup d’une «interdiction de quitter le territoire national» (ISTN). Mais la junte locale vient d’innover en faisant de l’Algérie le premier État au monde à empêcher l’un de ses citoyens, né en Algérie et détenteur du seul passeport algérien, d’entrer dans son propre pays. C’est le cas du journaliste Farid Alilat, qui vient d’être refoulé de l’aéroport international d’Alger pour avoir déterré le passé assassin de l’un des fondateurs du Système.

Le 17/04/2024 à 11h39

Le régime algérien est aujourd’hui rattrapé par la longue série d’assassinats politiques, essentiellement ceux commis par Houari Boumédiène contre les -vrais- résistants algériens, aussi bien en pleine guerre de libération qu’après l’indépendance, puis suite au coup d’État militaire qui lui a permis de diriger l’Algérie d’une main de fer jusqu’à sa mort en 1979.

En effet, durant la guerre de libération nationale algérienne, «l’armée des frontières» de Boumédiène, qu’il s’agisse de sa branche tunisienne ou du clan d’Oujda, au Maroc, n’a jamais tiré une seule balle contre l’armée coloniale française. Au contraire, elle procédait à une élimination systématique des grandes figures de la résistance algérienne, sans distinction entre les militants politiques les plus en vue et les membres de l’Armée de libération nationale qui faisaient front dans les maquis contre l’armée française. Cela a commencé avec l’assassinat en 1957 d’Abane Ramdane, surnommé l’architecte de la révolution algérienne, mort étranglé par les hommes de Boumédiène dans une ferme dans le nord du Maroc.

Ce fut aussi le cas du grand et emblématique résistant Amirouche Aït Hammouda, dit colonel Amirouche, que, par traîtrise, l’armée des frontières a invité à Tunis dans le seul but de le faire tomber dans une embuscade tendue par l’armée française dont il était la bête noire. Embuscade dans laquelle il trouva la mort, le 28 mars 1959, avec quarante de ses hommes.

Mais comme si cet assassinat ne lui suffisait pas, Boumédiène, devenu chef d’état-major de l’armée algérienne, exhuma secrètement, en 1963, les ossements d’Amirouche, et au lieu de les enterrer dignement au cimetière d’El Alia, où reposent les héros de la guerre d’indépendance, il les a séquestrés dans une cave où ils n’ont été retrouvés que 20 ans plus tard, en 1983, soit 4 ans après la mort de Boumédiène. C’est avec la complicité de l’ancien chef de la gendarmerie à l’époque et actuel général à la retraite, Mohamed Touati (87 ans), que Boumédiène avait caché les restes d’Amirouche, évitant que des hommages soient rendus à ce héros national algérien ou que l’on puisse se recueillir sur sa tombe.

Autant dire que l’armée des frontières a usurpé la légitimité de son pouvoir en Algérie, prétendant avoir combattu l’armée coloniale française, alors qu’en réalité, les troupes de Boumédiène avaient fait la guerre aux vrais résistants algériens. Une guerre qui s’est d’ailleurs poursuivie sous la forme d’assassinats politiques dès la prise de pouvoir par Houari Boumédiène, en 1965, suite au coup d’État militaire qui a renversé Ahmed Ben Bella, resté en prison jusqu’après la mort de son tombeur. Ainsi, le 3 janvier 1967, Mohamed Khider, l’un des neuf chefs historiques de la révolution algérienne (avec Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Mustapha Ben Boulaïd, Larbi Ben M’Hidi, Rabah Bitat, Mohamed Boudiaf, Mourad Didouche et Krim Belkacem), qui a été assassiné par la Sécurité militaire algérienne, sur ordre de Boumédiène, dans la capitale espagnole Madrid, où il vivait en exil depuis 1963.

Krim Belkacem, un autre compagnon de Khider, signataire des Accords d’Évian et opposant lui aussi au régime de Boumédiène, a subi le même sort en 1970 à Francfort en Allemagne. Or, ce sont justement les récentes révélations sur ce dernier assassinat qui ont mis le régime algérien fans tous ses états.

Si le magazine panafricain Jeune Afrique, qui a publié ces révélations, n’a jamais été en odeur de sainteté auprès du régime algérien, Farid Alilat, le journaliste algérien, auteur de de ladite enquête sur Krim Belkacem, n’a jamais été auparavant dans le viseur du régime de son pays. Ceci explique d’ailleurs que, depuis 2004, il a pu régulièrement voyager entre l’Algérie et la France sans jamais être inquiété. Avant son expulsion aux premières heures du samedi 13 avril courant, sa dernière visite à Alger remontait à fin décembre 2023.

Farid Alilat a certes tenté de ne pas trop dramatiser son expulsion, afin d’éviter qu’elle se transforme en bannissement total, ce qui lui interdirait à l’avenir de se rendre en Algérie qu’il avait l’habitude visiter plusieurs fois par an, à titre professionnel ou personnel. Ainsi, il a laissé croire que son expulsion n’a rien à voir avec sa récente enquête sur l’assassinat, en 1970 en Allemagne, du Moudjahid historique et opposant au régime algérien, Krim Belkacem, tué par un commando envoyé par Houari Boumédiène. Pourtant, d’aucuns estiment, et en toute logique, que ce sont bel et bien ses récentes révélations précises et très documentées sur cet assassinat politique, publiées sur le site de Jeune Afrique le 26 mars dernier, qui sont derrière son quasi-bannissement.

Et si Farid Alilat était venu en Algérie pour un complément d’enquête sur l’affaire Krim Belkacem, après que les autorités allemandes lui ont ouvert, pour la première fois, leurs archives relatives au film de cet énième assassinat commandité par Boumédiène? Du moment qu’il a identifié deux des tueurs de Krim Belkacem, alors que le nom du troisième tueur est resté un mystère, Farid Elilat serait donc venu en Algérie pour en savoir davantage sur ces tueurs.

Le journaliste algérien de Jeune Afrique a livré les noms de deux assassins de Krim Belkacem, sans pouvoir identifier le troisième. L’un, officier de la sécurité militaire algérienne, répondrait au nom de Hamid Aït Mesbah, et l’autre serait Mohamed Ouslimani, présenté comme un haut cadre de l’État algérien, dont le pseudonyme est Mohamed Debaï. Les trois compères auraient utilisé de faux passeports marocains afin de jeter l’opprobre sur le voisin de l’Ouest que l’Algérie a érigé en principal ennemi depuis l’usurpation du pouvoir en Algérie par les chefs de l’armée des frontières.

Bien avant d’atterrir le vendredi 12 avril à l’aéroport Houari Boumédiène d’Alger, Farid Alilat ne savait pas encore que la police des frontières de son pays avait déjà reçu l’ordre de le refouler vers la France, car il est soupçonné venir en Algérie, non pas pour un prétendu reportage sur la présidentielle anticipée du 7 septembre 2024 (au sujet de laquelle il n’y a rien à se mettre sous la dent), mais pour compléter son enquête sur l’assassinat de Krim Belkacem à partir d’éventuels témoignages locaux. Et le régime algérien a bien évidemment tout à craindre de telles investigations, sachant que dans l’un des articles de son dossier, Farid Alilait se demande pourquoi les auteurs de ce qu’il appelle un «crime d’État» n’ont jamais été arrêtés.

Cette affaire souligne la peur-panique qu’inspire au régime algérien toute remise en cause du narratif apocryphe sur «la guerre de libération». Houari Boumédiène, le fondateur du Système, n’a pas tiré une seule balle contre l’armée française. Les seules balles qu’il a tirées, ou ordonné de tirer, étaient dirigées contre les vrais protagonistes de l’indépendance de l’Algérie. Dans la personnalité de Boumédiène, il y a toutes les tares du régime algérien: mensonge, jalousie, hystérie, frustration, haine pathologique, mal-être… La jeunesse algérienne mérite mieux que l’héritage du boumédiénisme.

Par Mohammed Ould Boah
Le 17/04/2024 à 11h39