Lancement des travaux de la station de dessalement de Casablanca: les raisons d’un retard qui nourrit bien des doutes

Dans une station de dessalement d'eau de mer au Maroc. (Crédit: Le360)

Censée être lancée en juin puis en décembre dernier, la construction de la station de dessalement de l’eau de mer de Casablanca, confiée au groupement Acciona-Akwa, tarde à se concrétiser, dans un contexte de stress hydrique chronique où chaque jour compte. Les scénarios les plus optimistes parlent d’un décalage de «quelques mois», pour des considérations d’ordre technique. Mais de nombreuses zones d’ombre sur la plus grande infrastructure du genre en Afrique persistent et en menacent jusqu’à la faisabilité.

Le 08/04/2024 à 16h10

Cette fois-ci sera-t-elle la bonne? L’espoir est permis, tout autant que le doute, quant au lancement du chantier de la station de dessalement de l’eau de mer de Casablanca, promise comme la plus importante du genre dans toute l’Afrique. Encore faut-il que les travaux de sa construction démarrent. Et ceux-ci en sont au moins à leur deuxième rendez-vous manqué, les dates annoncées d’un lancement des travaux en juin 2023 et en janvier 2024 n’ayant à l’évidence pas été tenues.

Contactée par Le360, une source experte au sein du ministère de l’Équipement et de l’Eau nous jure, la main sur le cœur, que le lancement du chantier aura lieu ce 15 avril, soit le lundi de la semaine prochaine. «Un certain temps a été nécessaire pour réadapter les différents contrats liés à ce projet d’envergure par rapport aux objectifs qui lui sont assignés. C’est désormais chose faite», nous rassure-t-on. Assez pour nous convaincre quant au démarrage effectif du projet? Rien n’est moins sûr.

Pendant ce temps, l’horloge tourne et aucun coup de pioche n’est venu indiquer que la future station de dessalement, dont l’importance est cruciale pour la métropole, sera lancée de sitôt. Une station voulue pour soulager la pression sur les réserves du bassin d’Oum Er-Rbia, principale source d’approvisionnement en eau potable de la région, qui connaît un important déficit hydrique après six années consécutives de sécheresse.

Le projet, lancé par l’ONEE dans le cadre d’un partenariat public-privé, consiste à concevoir, financer, réaliser et exploiter, pendant une durée de 30 ans (répartie sur 3 ans pour la réalisation, et 27 ans pour l’exploitation), une station de dessalement de l’eau de mer d’une capacité de 548.000 m³ par jour (200 millions de m³ par an), extensible à 822.000 m³ par jour d’eau traitée (300 millions de m³ par an). Le projet comprend, en parallèle, les travaux maritimes de prise et de rejet de l’eau de mer, ainsi que l’alimentation électrique de la station, essentiellement par des sources d’énergie renouvelable.

Dès son entrée en service, la station devrait fournir de l’eau potable aux 3,34 millions d’habitants de la ville de Casablanca et élargir le réseau d’irrigation sur une superficie de 8.000 hectares. Avec à la clé un investissement d’environ 8,8 milliards de dirhams.

Si plusieurs géants mondiaux du secteur, six groupements en tout, se sont bousculés au portillon en répondant à l’appel d’offres lancé par l’ONEE, c’est finalement le consortium composé de l’espagnol Acciona (7,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019) et les entreprises Afriquia Gaz et Green of Africa, deux filiales du groupe Akwa, propriété de l’actuel chef de gouvernement Aziz Akhannouch, qui a été sélectionné en novembre dernier.

Ceci, à la faveur d’une offre moins-disante, correspondant à un prix de revente de 4,50 dirhams/m³, à comparer au tarif de 5,88 dirhams/m³ pour la station du groupe OCP, et de 10 dirhams/m³ pour la station de dessalement d’Agadir.

Un tarif sur lequel n’a visiblement pas pu s’aligner le groupement rival, mené par le marocain Nareva et comptant le français Engie, le japonais Itochu et la CIMR. Un troisième consortium, composé de la SGTM, Somagec, Misui et IDE Technologies, a eu la décence de ne pas présenter sa candidature, justement par crainte de… ne pas être en capacité de respecter les délais de mise en service de la station, qui doit être pleinement opérationnelle en 2027.

De son côté, le groupe Akwa semble étonnamment serein face aux grandes urgences qui se profilent à l’horizon. Tout comme il s’est gardé de réagir aux évènements, malgré nos nombreuses sollicitations. Certaines «voix amies» ont néanmoins avancé que le lancement des travaux de construction de la station casablancaise avait bien eu lieu, le mardi 23 janvier dernier. En toute discrétion. Mais, vérification faite, il n’en a rien été et l’espoir un peu forcé suscité par cette annonce aura été de courte durée.

Hors groupe, mais bien informée quant à son évolution, une source jointe par Le360 indique qu’Akwa serait en train d’affûter ses armes. Elle en veut pour preuve les changements annoncés, la semaine écoulée, dans l’organigramme du groupe, dans la perspective des mutations à venir et «des transformations stratégiques du groupe créé il y a plus d’un demi-siècle par les familles Akhannouch et Wakrim». Akwa Africa a ainsi un nouveau président, en la personne d’Adil Ziady, jusqu’alors le dirigeant du pôle carburants et lubrifiants d’Akwa. À la direction du pôle carburants et lubrifiants, Akwa Group a fait le choix de promouvoir Saïd El Baghdadi, auparavant directeur général d’Afriquia SMDC. Autre annonce, la décision du groupe de créer un nouveau pôle dédié à la transition énergétique, à l’environnement et au développement durable, dont la direction a été confiée à Mohammed Rachid Idrissi Kaïtouni, un autre haut cadre de la holding.

C’est sur les épaules de ce dernier que reposera le plus gros de la tâche, s’agissant du projet de la station de dessalement de Casablanca. Et il est déjà confronté à un premier écueil d’importance. Car si le projet accuse autant de retard, c’est à cause des difficultés rencontrées pour accéder aux sources d’énergie électrique propre censées alimenter la station, comme l’impose le cahier des charges, indique le généralement bien informé Africa Intelligence. En d’autres termes, l’adjudicataire du mégaprojet ne dispose pas, à ce jour, d’une source d’énergie renouvelable raccordée au site.

Il était question, dans un premier temps, de raccorder la station au parc éolien opéré à Dakhla par GOA Invest, projet développé conjointement par Akwa et O Capital (groupe Othman Benjelloun). Ceci, à travers une ligne haute tension de 3 gigawatts entre le sud et le centre du Royaume. Problème: aucune société ne s’est présentée à l’appel à manifestation d’intérêt, émis en octobre 2023 à cette fin par l’ONEE. Une nouvelle date, celle du 16 mai, a ainsi été annoncée.

Un «réajustement» qui s’ajoute à un autre, puisque le marché ayant abouti à la sélection d’Akwa a lui-même eu lieu de manière exceptionnelle, avec seulement deux groupements en lice, alors que la loi en exige un minimum de trois. Si l’ONEE a pu procéder de la sorte, c’est que dérogation lui avait été octroyée.

Même là, la date du 16 mai comme délai pour lancer un nouvel appel à manifestation d’intérêt pour le raccordement de Dakhla à Casablanca paraît difficilement tenable.

En face, Nareva, leader du groupement rival, dispose d’un parc éolien à Boujdour qui, lui, est déjà relié au réseau électrique vers le Nord. La filiale d’Al Mada a, d’autant plus, déjà décroché le marché de la construction de sa première centrale de dessalement à Dakhla, dont la première pierre avait été posée… en février 2023. Des questions s’imposent dès lors: en privilégiant l’offre la moins-disante, l’État n’aurait-il pas mis en péril la faisabilité d’un projet aussi essentiel que vital pour la capitale économique et sa région? Dans quels délais le groupement bénéficiaire va-t-il raccorder le site de dessalement à une source d’énergie renouvelable? La date butoir de 2027 sera-t-elle respectée pour la mise en service de la station?

Par Tarik Qattab
Le 08/04/2024 à 16h10