Financement: pourquoi les PME marocaines boudent-elles le marché boursier?

Siège de la Bourse de Casablanca.

Siège de la Bourse de Casablanca. . Saad Zouhri

Manque de volonté, peur de la transparence ou simple déficience de culture financière, les petites et moyennes entreprises nationales axent leur financement quasi exclusivement autour du crédit bancaire. Pourtant, une alternative existe, celle du marché boursier. Décryptage.

Le 11/12/2021 à 12h31

Telles que présentées dans le rapport sur le nouveau modèle de développement (NMD), les petites et moyennes entreprises au Maroc souffrent de nombreux maux, notamment la sous-capitalisation et les difficultés d’accès aux financements. Une situation qui empêche ces structures d’atteindre leur plein potentiel de création de valeur et d’emplois.

Le rapport du NMD souligne dans ce sens la nécessité de «diversifier le système financier, au service de l’économie et des besoins des entreprises», afin d’amorcer une dynamique de relance économique saine et pérenne, grâce à des entreprises disposant des capacités financières suffisantes pour investir et se développer.

«Les crédits inter-entreprises restent la première source de financement à court terme des entreprises avec un niveau record qui dépassent les 420 milliards de dirhams, supérieur à l’encours des prêts bancaires aux sociétés non financières privées. C'est une situation malsaine qui fragilise les PME en majorité sous-capitalisées et freine leur croissance», regrette Omar Amine, associé fondateur du cabinet de conseil OFINANCE, joint par Le360. Il note que «pour se développer, il faut un matelas de fonds propres pour investir et augmenter ses capacités de financement et l'introduction en bourse est tout indiquée pour résoudre cette équation».

A en croire le spécialiste, le marché boursier offre de nombreux avantages, pour aider les petites entreprises à devenir grandes, au moment où le crédit bancaire ralentit et les impayés augmentent. «Le marché des capitaux permet de lever des financements, sans limitation de durée ni de montant. Pour avoir un crédit bancaire, il faut présenter les garanties nécessaires et réussir à convaincre sa banque pour un prêt limité qui doit être impérativement remboursé dans des délais précis», explique-t-il.

Lever de l’argent sur le marché boursier offre également une exonération fiscale importante. «Après une introduction en bourse, on ne paie que 50% de l’impôt sur les sociétés (IS) dû pendant les 3 exercices suivant l’IPO, en cas d’introduction par augmentation de capital, contre 25% de l'IS en cas de cession d'actions», précise-t-il. 

Coup de poucePour inciter les PME à recourir davantage à la bourse, les acteurs du marché financier mettent en place des dispositifs adaptés à cette catégorie d’entreprises. Ainsi, dans son nouveau règlement général, entré en vigueur en décembre 2019, la Bourse de Casablanca a prévu la création d’un marché alternatif s’adressant exclusivement aux petites et moyennes entreprises. Un marché où les conditions d’accès et les exigences en termes de taille, de montant levé et de communication financière ont été allégées.

Ce compartiment du marché boursier s’adresse à toute entreprise dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas 500 millions de dirhams et dont l’effectif salarial est inférieur à 300 personnes. Le total bilan ne doit pas, quant à lui, dépasser les 200 millions de dirhams. En parallèle, le montant minimum à lever est d’au moins 5 millions de dirhams.

Un marché conçu sur mesure pour les PME mais qui semble avoir du mal à séduire face à un enjeu de taille: si 90% du tissu économique national est constitué de PME, seules 3 trois entreprises opèrent aujourd’hui sur le marché alternatif de la Bourse de Casablanca.

Pour faire face à la réticence et encourager les PME à envisager le financement auprès du marché boursier, de nombreuses initiatives ont été prises ces dernières années. Dernier coup de pouce en date: la signature, mercredi 8 décembre 2021, d’un protocole d’accord entre l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), la Bourse de Casablanca, Maroclear et l’Association professionnelle des sociétés de Bourse (APSB).

Ce protocole prévoit en effet, le lancement d’une offre intégrée dite «Offre PME» permettant de faciliter l’accès au financement par le marché des capitaux aux entreprises souhaitant s’introduire en bourse sur le nouveau marché alternatif de la Bourse de Casablanca, à travers l’instauration d’une tarification plus avantageuse, grâce à une réduction de 50% des commissions d’introduction à ce marché.

L’accord prévoit également, l’instauration d’un guichet unique pour la centralisation et la coordination des démarches à effectuer auprès de l’AMMC, de la Bourse de Casablanca et de Maroclear. Enfin, un dispositif de formation et d’accompagnement au profit des PME envisageant de lever des financements sur le marché a été mis en place.

Frilosité Malgré les nombreux avantages disponibles, la frilosité des PME face au marché boursier reste de mise, les contraintes liées notamment à la transparence et aux coûts associés dissuadent encore de nombreux patrons à franchir ce cap.

Parmi les principaux freins identifiés, figurent les contraintes réglementaires et les nombreuses obligations de communication et de transparence qui incombent à toute société cotée. «Une entreprise côté en bourse est réglementée, elle doit respecter un certain nombre d’obligations, essentiellement de communication financière, d’organisation et de déontologie afin de séduire les investisseurs et d’assurer une certaine performance», explique pour Le360, l’expert-comptable et commissaire aux comptes, Nafeh Agourram.

En effet, en s'introduisant en bourse, l’entreprise s’ouvre au grand public, elle doit donc se préparer à communiquer autour de ses activités, son bilan financier, son business plan et ses perspectives d’évolution. La complexité des procédures et le choix du statut juridique de la société jouent également un rôle. «Au Maroc la majorité des PME sont des entreprises familiales, sous forme SARL, alors que pour s’introduire en bourse, il faut se transformer en société anonyme (SA). Il faut donc un vrai travail de préparation en termes de gouvernance, d’organisation et de management pour pouvoir appréhender l’ouverture du capital», détaille l’expert comptable.

Par ailleurs, chercher des financements au-delà du circuit bancaire traditionnel implique également une évolution radicale des mentalités, pour rompre avec une barrière psychologique qui empêche le développement du tissu entrepreneurial national. «Malheureusement, dans le milieu des affaires aujourd’hui, on a l’impression que la bourse est réservée à une élite. Des entreprises qui réalisent des chiffres d’affaires record et qui ont atteint une grande maturité», regrette Omar Amine.

«Aujourd’hui, il existe beaucoup de PME industrielles qui sont certifiées ISO, qui ont des processus de qualité, qui ont des procédures bien organisées, qui participent à des marchés internationaux. Il n’y a donc aucune raison pour que ce type d’entreprises ne profite pas de cette opportunité pour lever des capitaux», affirme l’expert boursier.

Il tient par ailleurs à noter que le financement en bourse n’est pas une fin en soi. «L'introduction en bourse est avant tout un accélérateur de développement, un outil de valorisation du capital humain, de gestion du patrimoine et des opérations de transmission familiale. C’est aussi un moyen de communication performant pour une meilleure notoriété et visibilité», précise-t-il, notant qu’«il faut bien choisir le moment dans la vie de l’entreprise, selon son cycle de développement et la maturité du secteur, avant de franchir le cap de l’IPO».

Notons pour finir que sur toute l’année 2021, la Bourse de Casablanca n’a qu’une seule IPO a son actif, celle de TGCC, pour un montant de 600 millions de dirhams, et dont la première cotation est prévue la semaine prochaine.

Par Safae Hadri
Le 11/12/2021 à 12h31