Comment le Maroc gère-t-il la flambée des prix du blé? Le point avec Jamal M’Hamdi, président de la FIAC

Les silos à céréales du Port de Casablanca qui assurent le déchargement des navires céréaliers. 

Les silos à céréales du Port de Casablanca qui assurent le déchargement des navires céréaliers.  . Onicl

Les cours du blé ont atteint des niveaux inédits sur le marché international. Le Maroc a enchaîné les mesures pour contenir l’impact de cette hausse sur le prix des farines et du pain. Le point avec Jamal M’Hamdi, président de la Fédération interprofessionnelle des activités céréalières (FIAC).

Le 01/02/2022 à 08h46

Le Maroc importe en moyenne, chaque année, 3 à 4 millions de tonnes de blé tendre et 800.000 à 900.000 tonnes de blé dur. Dans cet entretien, Jamal M’Hamdi, président de la Fédération interprofessionnelle des activités céréalières (FIAC) et de la Fédération nationale des négociants en céréales et légumineuses (FNCL) nous explique les causes à l’origine de la flambée des prix du blé sur le marché international et nous parle de l’impact de celle-ci sur les importateurs et consommateurs marocains.

Afin de réduire les retombées des fluctuations des cours mondiaux et de la spéculation sur les prix intérieurs, le gouvernement Akhannouch a décrété plusieurs mesures comme la suspension, depuis le 1er novembre dernier, des droits de douane sur les importations de blé dur et tendre, outre l'allocation de compensations supplémentaires aux importateurs afin de préserver les prix de tous les dérivés du blé au niveau national.

Evoquant ce mécanisme de compensation, le président de la FIAC attire l’attention sur les retards constatés dans le paiement des restitutions, ce qui expose les opérateurs économiques, dit-il, aux risques d’un ralentissement voir d’une réduction des importations de blé tendre.Comment analysez-vous la hausse des prix du blé sur le marché international?Le suivi des marchés mondiaux montre que les prix du blé tendre sont passés de 240 dollars US/tonne en janvier 2020 à 270 dollars/tonne en janvier 2021, puis à 350 dollars en janvier 2022, soit une hausse cumulée de 46% malgré les niveaux records de production mondiale enregistrés pour les deux dernières campagnes.

La flambée des prix du blé dur est encore beaucoup plus prononcée, ayant plus que doublé en l'espace de six mois, passant de 300 dollars/tonne en juin 2021 à plus de 720 dollars/tonne actuellement.

Le marché du blé dur à l'international est étriqué, représentant environ 9 millions de tonnes contre 190 millions tonnes pour celui du blé tendre.

Il est de plus dominé essentiellement par le Canada qui, à lui seul, assure près de 60 % des exportations mondiales. Ce qui veut dire que c'est la production canadienne qui va déterminer les prix et leur tendance sur le marché international. Cette année en est la parfaite illustration: le Canada a vu sa production de blé dur chuter de près de 50% en raison des mauvaises conditions climatiques qu'a connues le pays, entraînant de facto la flambée des prix que nous connaissons et subissons actuellement.

A cela, nous devons ajouter aussi la flambée des cours du fret maritime qui ont plus que quintuplé en l'espace d'un an. Ils frôlent actuellement les pics enregistrés durant la crise de 2008-2009. Pour résumer, plusieurs facteurs concomitants expliquent ces tendances dont:

- la hausse de la consommation mondiale qui dépasse la production pour la deuxième année consécutive,

- la diversité des utilisations à l'échelle mondiale: consommation humaine, animale et utilisation dans la fabrication industrielle des biocarburants,

- la baisse des stocks mondiaux de report,

- la chute de près de 50% de la production canadienne de blé dur, 

- les effets de la pandémie du Covid-19 sur les échanges mondiaux: retour des politiques nationales protectionnistes de certains pays exportateurs et importateurs...

- Les achats massifs de plusieurs pays importateurs du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, ainsi que ceux du Sud-Est asiatique, dont essentiellement la Chine qui a procédé ces deux dernières années à la reconstitution de ses stocks intérieurs.

- Les tensions en mer Noire, l'Ukraine et la Russie.

- La hausse des cours du pétrole. 

- Le comportement des opérateurs financiers des bourses et marchés à terme internationaux qui se rabattent sur les marchés des denrées alimentaires, dont les céréales, générant encore plus de volatilité et de flambée des prix au sein de ces marchés.

En ce qui nous concerne, notre pays importe en moyenne, chaque année, 3 à 4 millions de tonnes de blé tendre et 800.000 à 900.000 tonnes de blé dur.

Si nos sources d'approvisionnement en blé tendre sont diversifiées, celles en blé dur sont particulièrement concentrées et proviennent pour plus de 80% du Canada. La flambée des prix du blé dur s'est traduite directement sur le marché marocain par la hausse des prix des semoules, des pâtes alimentaires et du couscous. Ces produits étant libéralisés, leurs prix suivent la loi de l'offre et de la demande; à l'opposé des produits à base de blé tendre qui, bénéficiant du soutien de l'Etat, n'ont nullement été impactés par la hausse constatée sur les marchés mondiaux.

Les opérateurs marocains sont conscients de la nécessité de diversifier leurs sources d'approvisionnements, d'une part en orientant leurs achats vers les origines de meilleur rapport qualité/prix, particulièrement pour le blé dur, mais aussi en menant des actions d'encouragement de la production et la commercialisation du blé national répondant aux attentes des industries de la première et de la deuxième transformation.

Ainsi, plusieurs actions prioritaires organisées autour de Tasks Forces, sont prévues à cet effet, dans le cadre du contrat programme «Generation Green».

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Comment s’est comportée votre activité face à cette situation?L’approvisionnement de notre pays en blé tendre est assuré à parts presque égales en moyenne par la production nationale et par les importations.

Grâce au Plan Maroc Vert, la production nationale de blé tendre est passée au cours de ces 10 dernières années de 2,7 à 3,9 millions de tonnes malgré les aléas climatiques.

Cette augmentation de la production nationale de blé tendre, complétée par les importations, ont permis de couvrir avec sérénité, quiétude et résilience les besoins et attentes de notre marché domestique.

Il y a lieu aussi de rappeler que, dans notre pays, le commerce et les importations des céréales sont libres, tout en étant adossé à un mécanisme de protection à la frontière par les droits de douane. Ce mécanisme est déclenché à la veille de la récolte nationale pour protéger la commercialisation de la production nationale, puis levé après la période de collecte, généralement en septembre, octobre ou novembre, selon le niveau de la production nationale.

En cas de flambée des cours mondiaux, les droits de douane sont suspendus, voire même remplacés, comme c’est le cas cette année, par un mécanisme de restitution à l’importation. Il s’agit d’une prime à l’importation de blé tendre meunier, calculée chaque mois et payée aux importateurs par l’Etat. Le but étant de plafonner les prix de vente du blé tendre à 270 dirhams le quintal sorti des ports marocains.

Ce système a pour objectif de mettre notre pays à l’abri de la flambée des cours mondiaux de blé tendre et de contenir toute hausse de prix des farines et du pain.

Le déclenchement de ce mécanisme à partir du 1er novembre 2021 a permis aux importateurs de reprendre leur activité d’importation après la période de collecte de la production nationale et de satisfaire la demande du marché en quantité, qualité et prix.

Cependant, il est de notre devoir d’attirer l’attention sur le fait qu’au regard des montants engagés par les opérateurs privés pour l’importation du blé tendre dans le cadre de ce mécanisme, et des retards enregistrés dans le paiement des restitutions par l’Office national interprofessionnel des céréales et des légumineuses (ONICL), leurs trésoreries sont mises à mal. Nous nous exposons donc aux risques d’un ralentissement voir d’une réduction des importations de blé tendre.

Quel a été l’impact de la suspension des droits de douane sur les importations de blé dur et tendre, notamment sur les prix?Que ce soit pour le blé tendre ou le blé dur, la suspension des droits de douane était nécessaire mais non suffisante.

Pour le blé tendre, notre pays a pu neutraliser la flambée des cours du marché international et maintenir les prix des farines et du pain à leurs niveaux habituels grâce à la mise en place du mécanisme précité de restitution à l’importation. A ce titre, nous tenons publiquement à remercier Monsieur le ministre de l’Agriculture pour cela.

Pour le blé dur, la suspension des droits de douane n’a pas permis à elle seule de contenir toute la hausse des prix de revient à l’import. L’envolée des prix s’est répercutée sur le prix des produits, à savoir les semoules, les pâtes alimentaires et le couscous. Mais la stabilité des prix des produits de blé tendre et la disponibilité de divers produits équivalents sur le marché marocain offrent des possibilités de substitution et contribuent à l’atténuation de l’impact de la hausse des prix du blé dur.

Quelles mesures ont été prises pour assurer une stabilité des prix dans cette conjoncture exceptionnelle?Pour assurer la stabilité des prix du blé tendre et du blé dur, les droits et taxes de Douanes ont été suspendus. Pour le blé tendre, en plus de la suspension des droits de douane, un mécanisme de restitution à l’importation a été mis en place. De plus, grâce à la très bonne production de blé tendre de la dernière récolte 2021, notre pays a pu constituer des stocks confortables.

Par ailleurs, la Fédération interprofessionnelle des activités céréalières (FIAC) et ses différentes composantes couvrant l’ensemble des métiers de la filière des céréales et légumineuses, se sont mobilisées aux côtés de leur administration de tutelle, à savoir le ministère de l'Agriculture, et de l’ONICL pour interagir avec agilité, responsabilité et professionnalisme afin de garantir la régularité des approvisionnements. Le contrat-programme «Generation Green» de la filière des céréales et légumineuses en sera le vecteur.

Par Wadie El Mouden
Le 01/02/2022 à 08h46