Une étude marocaine inédite se penche sur les transformations des industries culturelles et créatives au Maroc

Motonobu Kasajima, délégué général de la Fédération Wallonie-Bruxelles à Rabat, et Neila Tazi, présidente de la Fédération des industries culturelles et créatives (FICC).

Motonobu Kasajima, délégué général de la Fédération Wallonie-Bruxelles à Rabat, et Neila Tazi, présidente de la Fédération des industries culturelles et créatives (FICC). . said bouchrit / Le360

Quelles stratégies adopter pour accompagner les mutations les plus probantes des industries culturelles et créatives au Maroc? Une question majeure à laquelle entend répondre, en plus de 240 pages, une étude d’envergure menée par une équipe de chercheurs marocains.

Le 26/01/2022 à 16h51

La signature en mai 2021 par la Fédération des industries culturelles et créatives (FICC) de la CGEM et la Fédération de Wallonie-Bruxelles International à Rabat d’un accord de partenariat, avec pour objectif la contribution à la structuration du secteur des industries culturelles et créatives (ICC), a abouti à l’une de ses premières actions, et non des moindres.

Cette coopération s’est en effet concrétisée par le lancement d’une étude de terrain intitulée «Quelles transformations pour les ICC au Maroc. Focus sur 4 filières, l’édition, les arts de la scène, l’audiovisuel et la musique actuelle», menée par une équipe de chercheurs marocains, dirigée par Driss Ksikes.

Lundi 24 janvier 2022, au siège de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), ont ainsi été présentées à la presse nationale la méthodologie et les conclusions de cette étude réalisée à partir d’une revue de littérature élargie, et en interaction régulière et construite avec décideurs, acteurs et observateurs.

Cette étude de terrain inédite propose donc des clés de décryptage du fonctionnement de quatre filières créatives au Maroc, à savoir l’édition, les arts de scène, les musiques actuelles et l’audiovisuel, avec pour objectif essentiel d’apporter aux acteurs institutionnels une série de propositions pour renforcer les politiques publiques en lien avec les économies créatives au Maroc.

Le choix de focaliser l’étude sur ces quatre secteurs en particulier répond à une volonté d’analyser plus spécifiquement des filières fortement subventionnées et des domaines connaissant des mutations technologiques et générationnelles de taille, avec des effets de globalisation qui favorisent autant de nouvelles formes d’entrepreneuriat.

La culture, clé du développementL’étude intervient par ailleurs à un moment clé où le nouveau modèle de développement insiste sur la centralité de la culture pour le développement humain et social, la diversification économique, et où l'intérêt de partenaires internationaux au sujet du renforcement des économies créatives dans la région est prégnant.

«Cette étude est le reflet de l’intérêt que nos partenaires internationaux accordent à notre dynamique culturelle et créative au Maroc. Malgré les difficultés, les revendications, le plaidoyer incessant des opérateurs du secteur, il y a une vraie dynamique au Maroc depuis 20 ans notamment, qui est remarquée, qui intéresse et interpelle nos partenaires internationaux», explique pour Le360 Neila Tazi, présidente de la Fédération des industries culturelles et créatives (FICC).

Celle-ci souligne que «cette étude propose un certain nombre de recommandations qui seront partagées par l’ensemble des décideurs auprès des chancelleries du Maroc, ne serait-ce que dans le cadre des Etats de l’Union européenne, mais également tous les pays ici représentés, et qui ont une vraie volonté de donner une place à la diplomatie culturelle dans leur relations avec les Etats».

Et Motonobu Kasajima, délégué général de la Fédération Wallonie-Bruxelles à Rabat, d’abonder dans le même sens, car «il est important de rendre hommage à tous ces professionnels du monde de la culture, de leur donner la parole. C’est d’ailleurs l’objet de cette étude qui nous permet d’avoir un diagnostic et de pouvoir identifier des pistes de collaboration pour permettre à nos opérateurs culturels et professionnels de pouvoir entrer en dialogue avec leurs collègues marocains, et de travailler sur des cocréations, des coproductions, des coéditions, pour ensemble dialoguer, mais aussi faire rayonner plus facilement et plus largement la culture marocaine et la culture belge francophone», comme il l’explique pour Le360.

Des recommandations en attente d’actions concrètesSix axes structurants se démarquent dans cette étude et méritent une attention particulière, à commencer par la transversalité de la culture et la nécessaire convergence, la réforme du modèle de subvention publique et la libéralisation de l’audiovisuel. A ce premier trio de recommandations s’ajoutent, l’identification des entreprises des ICC et la reconnaissance des associations culturelles, la réforme du Bureau marocain des droits d’auteurs (BMDA) et la gestion des droits d’auteur et enfin, les défaillances structurelles à combler par la formation.

«Parmi les recommandations, il y a des choses assez simples à concrétiser, comme l’adoption d’une loi sur le mécénat, l’adoption des décrets concernant la loi sur le crowdfunding qui est une loi qui permet de faire appel à des fonds auprès du grand public», détaille Neila Tazi.

Pour la présidente de la FICC, «ce sont des actions qui n’ont pas l’air très urgentes, mais qui en réalité vont changer la vie des opérateurs. Réformer la loi sur les droits d’auteurs, engager une action volontariste dans le cadre de la formation professionnelle car il y a beaucoup de métiers et de vocations à encourager et d’emplois à offrir aux jeunes dans ce secteur. Je ne peux pas citer toutes les mesures que nous proposons, mais la plus importante, c’est la gouvernance parce qu’il faut un portage politique fort d’un sujet tel que celui-ci qui attend depuis trop longtemps. Il faut également penser à l’internationalisation de notre offre parce qu’une offre de qualité va créer la demande et va pouvoir s’exporter à l’international».

Et de prendre pour exemple des pays tels que la Turquie, le Nigéria, la Corée du Sud pour ne citer que ceux-ci.

La culture une affaire d’Etat«Nous disposons maintenant d’un outil sur lequel la FICC va pouvoir construire son plaidoyer et mener son lobbying auprès des autorités politiques, des élus, pour se faire entendre, faire entendre le secteur de la culture et essayer de trouver des moyens d’accélérer les réformes à mener pour libéraliser les différents marchés de la création», estime Motonobu Kasajima.

Il s’agit aussi de «repenser les aides publiques que l’Etat octroie et alloue au secteur, encourager l’éducation du public à la consommation culturelle pour que les auteurs trouvent leur public, encourager à la lecture dans les écoles, développer un tourisme plus culturel que ce qui se fait pour l’instant. Bref, travailler sur la convergence des départements du gouvernement marocain qui a tout à gagner à ce que la culturelle marocaine rayonne davantage sur le territoire marocain et à l’international», conclut-il.

Et pour que la culture ne soit plus le parent pauvre du gouvernement marocain, souffrant systématiquement de difficultés budgétaires et administratives, encore faut-il que l’Etat prenne un certain nombre de mesures et qu’une transversalité s’instaure entre les différents ministères concernés par la culture. Sans compter que, comme le rappelle Neila Tazi, en à peine trois ans, la FICC a dû traiter avec quatre ministres de la Culture différents!

«Nous l’avons dit lors des premières assises des industries culturelles et créatives qui ont eu lieu en octobre 2019 sous le haut patronage de Sa Majesté. Nous avons en ce sens appelé à cette nécessaire synergie parce que la culture est transversale, elle est partout, et elle est bénéfique pour plusieurs secteurs: le tourisme, la diplomatie, le softpower marocain, les villes, les territoires. Aujourd’hui, ce secteur de la culture a besoin aussi de récupérer une part de ce qu’il apporte pour pouvoir aller de l’avant et continuer», souligne-t-elle.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 26/01/2022 à 16h51