La guerre au Burkina Faso

L’Afrique réelle

ChroniqueDepuis 2015, les groupes terroristes ont pris pied dans un pays jusqu’ici préservé. Ils s’implantèrent d’abord dans la province du Soum limitrophe du Mali, puis dans celles d’Oudalan et de Seno, toutes deux à forte population peul et où le contentieux ethnique est ancien.

Le 18/01/2022 à 11h01

Dans l’ouest de la région sahélo-guinéenne, le Burkina Faso constitue actuellement la principale cible des groupes armés terroristes (GAT). Un rapport du ministère burkinabé de la Justice et des droits humains, publié fin 2021, a recensé 4969 conflits divers qui ont ensanglanté le pays depuis 2018. Ayant des frontières communes avec le Niger, le Mali, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo et le Bénin, le pays est un verrou régional dont l’effondrement pourrait avoir des conséquences incalculables dans toute la sous-région.

Depuis 2015, les groupes terroristes ont pris pied dans un pays jusqu'ici préservé. Ils s’implantèrent d’abord dans la province du Soum limitrophe du Mali, puis dans celles d’Oudalan et de Seno, toutes deux à forte population peul et où le contentieux ethnique est ancien. Avant la colonisation, les populations vivant le long du fleuve Niger et dans ses plaines alluviales, qu’il s’agisse des Songhay, des Djerma ou des Gourmantche, étaient en effet prises en étau entre deux poussées prédatrices, celle des Touareg au nord et celle des Peul au sud. Celle des Touareg s’exerçait depuis le désert au nord du fleuve Niger, celle des Peul à partir d’émirats dont celui du Liptako.

L’année 2016 vit l’explosion du nombre des attaques terroristes. Elles se produisirent dans la province du Soum en contagion des évènements du Macina malien, mais aussi dans l’est du pays, y provoquant de fortes réactions ethniques. Le 2 mars 2016 la capitale, Ouagadougou, fut le théâtre d’un attentat sanglant revendiqué par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM).

Durant l’année 2017, la tache terroriste s’étendit, puis, en 2018, furent à leur tour touchées les régions peu peuplées de l’est et du centre-est où existait une tradition de banditisme de brousse. Les GAT achevèrent d’y détruire le faible maillage administratif en attaquant gendarmeries et casernes et en brûlant les écoles. Laissées sans protection, les populations s’armèrent et constituèrent des groupes d’auto-défense qui s’attaquèrent aux Peul suspectés d’être de connivence avec les GAT.

Depuis 2019, la contagion terroriste a touché l’est de la région de Fada-Ngourma autour de Gourmantché. Un phénomène qui n’a cessé de prendre de l’ampleur en 2020 et en 2021.

La question du Burkina Faso s’inscrit clairement dans un cadre sous-régional englobant le sud du Mali, le Niger fluvial, le nord de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Togo et du Bénin. Dans toutes ces régions, le soubassement de la dislocation est formé par la résurgence active de conflits antérieurs à la période coloniale. Dans le Mali central et dans le nord du Burkina Faso, les actuels massacres ethniques découlent ainsi d’abord de conflits datant de la fin du XVIIIe siècle et de la première moitié du XIXe siècle, quand la région fut conquise par des éleveurs Peul dont l’impérialisme s’abritait derrière le paravent du jihad.

Il faut en effet bien voir que c’est d’abord sur le socle de ces souvenirs toujours présents dans les mémoires que le sud du Mali, l’ancien Macina historique, région administrative de Mopti, s’embrasa avant de déborder au Burkina Faso. En partie composée du delta intérieur du Niger, la région est partiellement inondée une partie de l’année, donnant naissance à des zones exondées très fertiles convoitées à la fois par les agriculteurs Dogon (± 45 % de la population), Songhay ou Bambara, ainsi que par les éleveurs Peul (± 30 %).

Renaissant actuellement sous forme de querelles paysannes amplifiées par la surpopulation et par la péjoration climatique, ces conflits entrent ensuite tout à fait artificiellement dans le champ du jihad. D’où une question essentielle: qui sont les hommes qui font régner la terreur dans le pays? S’agit-il de véritables jihadistes ou bien de «bandits jihadisés»?

Nous le verrons dans ma prochaine chronique.

Par Bernard Lugan
Le 18/01/2022 à 11h01