Le film qui a choqué le monde arabe

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ChroniqueOn rira jaune encore une fois, de constater, impuissants et désemparés, la fragilité d’une certaine société arabe, incapable de se regarder en face, d’assumer ou d’affronter quoi que ce soit.

Le 29/01/2022 à 08h59

Quand on vous dit «le film ou le livre qui a choqué le monde arabe», que faites-vous? Moi, je plonge. Ça fait des années que c'est comme ça. C’est comme d’être attiré par le fruit défendu. Tout le monde vous dit de ne pas y goûter, ça tourne à l’obsession, alors vous faites tout pour le mordre de toutes vos dents. 

Et c’est comme ça que je mords dans le fruit défendu. Je lis ou je regarde, que dis-je, je dévore le film ou le livre qui a tourmenté le monde arabe. Encore un, me diriez-vous. Oui, encore et encore. Ça ne finira jamais.

Et hop. Allez, au suivant!

Le suivant s'appelle «On se connait ou pas», l'adaptation arabe d'un film à succès international («Perfect strangers») avec un pitch quelque peu racoleur, mais malin en diable: trois couples d’amis et un célibataire se retrouvent à un diner et finissent par inventer un jeu. Ils posent leurs téléphones sur la table et décident de partager tout ce qu’ils vont recevoir comme appels et messages. Cela revient à ouvrir la boite de Pandore, alors bonjour les dégâts!

On ne va pas jouer aux devinettes, vous avez certainement imaginé ce qui a pu choquer le monde arabe. Le film aborde de front des questions comme l’adultère, l’homosexualité, le sexe au féminin. Des questions «normales», qui alimentent les livres ou les films que nous consommons, mais que le monde arabe a du mal à affronter en famille.

Une partie du problème vient peut-être du fait que le film est produit et diffusé par Netflix. Cela veut dire qu’il devient un produit familial, que la petite famille arabe modèle consomme le soir quand papa rentre du travail, généralement après le diner.

Alors on s’offusque. Quand ce n’est pas pour des questions liés à la croyance et à la religion, ce sont les tracasseries sexuelles et les grandes petites choses qu’il est difficile d’aborder autour d’un repas familial.

Je vous conseille de regarder «Perfect strangers», si ce n’est déjà fait. Le film fonctionne parfaitement, parce que chacun peut s’y projeter en se disant «Et si c’était moi». Effet marketing garanti. Mais c’est cela aussi la magie de la création artistique, ça marche en littérature ou en cinéma, il y a ce sentiment d’être concerné, de croire que le film ou le livre a spécialement été fait pour vous.

Artistiquement, «Perfect strangers» version arabe n’est qu’une bluette mainstream, c’est-à-dire un produit calibré pour être consommé par le plus grand nombre. En Egypte, ils en ont fait une affaire nationale, qui a atterri au parlement, on parle de plainte, de demande d’interdiction de Netflix, certains veulent même obtenir la répudiation de l’une des actrices du film (excellente Mona Zaki)…

Le scandale aurait pu faire rire, quand on pense qu’il n’y a aucune scène de nu, pas même un petit bisou halal entre mari et femme. Mais on rira jaune encore une fois, de constater, impuissants et désemparés, la fragilité de la supposée société arabe, incapable de se regarder en face, d’assumer ou d’affronter quoi que ce soit.

Voilà mes amis, c’est tout. Inutile de vous préciser que le film cartonne littéralement dans les tendances du monde arabe, y compris au Maroc, où il est le produit Netflix le plus consommé en ce moment.

Après tout, on peut voir cela aussi comme un monumental montage marketing. Pour vendre la version suédoise ou finlandaise de «Perfect strangers», Netflix peut imaginer demain une accroche comme «le film qui vous poussera au suicide», ou «le film qui détruira votre couple d’une manière plus divertissante que tout le cinéma de Bergman».

Pour nous autres, l’accroche ne changera pas: «Le film qui a choqué le monde arabe!». Succès garanti.

Par Karim Boukhari
Le 29/01/2022 à 08h59