Au pas de course, Amzazi autorise deux nouvelles facultés privées de médecine qui ne disposent pas d’hôpital

Saaïd Amzazi, ministre de l'Education nationale et de l'enseignement supérieur

Saaïd Amzazi, ministre de l'Education nationale et de l'enseignement supérieur . DR

Après l’épisode de l'UPM de Marrakech, le ministre sortant de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur, Saaïd Amzazi, vient d'autoriser, par le truchement de visas dérogatoires, et dans des circonstances indéterminées, l’ouverture de deux nouvelles facultés privées de médecine à Rabat et à Agadir.

Le 14/09/2021 à 16h22

Un nouveau scandale, qui va sans doute secouer l’enseignement universitaire au Maroc. L’empressement dont vient de faire preuve Amzazi pour activer l’autorisation de deux nouvelles facultés privées de médecine en a surpris beaucoup, y compris dans les rangs de ses plus proches collaborateurs.

Alors qu’il est censé assurer la gestion des affaires courantes du ministère, en attendant la nomination des membres du gouvernement Akhannouch, Amzazi a décrété une mobilisation générale dans son département, enchaînant les réunions à un rythme inhabituel, avec un objectif précis dans le viseur: accélérer le processus d’accréditation de deux nouveaux établissements, respectivement rattachés à l’Université internationale de Rabat (UIR) et à l’Université Internationale d’Agadir (Universiapolis).

Le jeudi 9 septembre dernier, le ministre a ainsi convoqué une réunion de la Commission de coordination de l’enseignement supérieur privé (Cocesp), notamment pour statuer sur les demandes de ces deux facultés. Le lendemain, vendredi 10 septembre, la Commission nationale de coordination de l’enseignement supérieur (Cnces) a pris le relais et a, à son tour, rendu un avis favorable.

Une question se pose: pourquoi Amzazi a-t-il sonné la mobilisation générale au cours du temps mort de sa présence à ce ministère pour précipiter les réunions de la Cocesp et de la Cnces quelques heures seulement après l’annonce des résultats du triple scrutin du 8 septembre? N’était-il pas possible de les réunir avant les élections? Et pourquoi donc le ministre a-t-il insisté, cette fois-ci, pour être présent aux délibérations «techniques» de la Cocesp et de la Cnces dont les réunions sont souvent espacées de plusieurs semaines, voire des mois. Alors que dans ce cas de figure, ô miracle, moins de 24 heures ont séparé les réunions des membres de ces deux commissions.

D’habitude, confie le président d’une école supérieure de commerce de Casablanca, le dépôt des demandes de ce type se fait chaque année entre décembre et janvier, de sorte à laisser le temps nécessaire à l’Agence nationale d'évaluation et d'assurance qualité (Aneaq) de livrer un avis objectif, reposant sur une étude approfondie du dossier. L’initiateur du projet est ensuite invité à réagir et à faire part de ses remarques.

Les étapes ultimes du processus (Cocesp et Cnces) interviennent normalement au plus tard au mois de juin, afin de permettre aux établissements qui obtiennent cette autorisation délivrée par le ministère de préparer leurs concours d’accès (entre juillet et août), avant la rentrée universitaire vers la mi-septembre.

A titre d’exemple, pour le cas de la Faculté privée de médecine de Marrakech (FPMM), rattachée à l’Université privée de la même ville, malgré les irrégularités qui ont entaché sa création, son dossier a été examiné par les membres de la Cocesp le 23 juillet 2018, avant d’atterrir sur la table de la Cnces six semaines plus tard, le 6 septembre 2018.

Promesses videsAmzazi, qui traîne derrière lui des casseroles, liées au scandale des circonstances dans lesquelles la FPMM a vu le jour, reproduit en ce moment même la même erreur, mais cette fois-ci en courant deux lièvres à la fois. Et l’erreur est gravissime, préjudiciable à la qualité de l’enseignement et porteuse de très mauvais indices sur la qualité future des soins que délivreront les médecins qui vont exercer, au Maroc, dans un avenir proche. Car, comme tout le monde le sait, à commencer par Amzazi, l’enseignement de la médecine se fait dans les terrains de stage, directement au chevet des malades. Sans hôpital digne de ce nom, il n’est pas possible d’enseigner la médecine. Or les deux nouvelles facultés qui viennent d'être autorisées par Amzazi, ne sont adossées à aucune structure hospitalière!

Pour remédier à cette carence qui rend impossible l’enseignement de la médecine, des ruses sont exploitées.

Fin juillet 2021, l’UIR, sûre qu’elle allait décrocher son autorisation, bien avant les réunions de la Cocesp et de la Cnces, a diffusé un communiqué dans lequel elle annonçait «le lancement de la construction d’un hôpital universitaire international», sur son campus à Rabat, d’une capacité de 400 lits. Ce même communiqué n’indique pas de date ou de délai de livraison, encore moins le montant de l’investissement engagé.

«On est dans des effets d’annonce. Rien de concret», déplore ce professeur de médecine, qui remet en question la faisabilité à court terme d’une structure hospitalière de cette ampleur. «L’université Abulcasis des sciences de la santé a lancé, voici 4 ans, le chantier de son CHU à Tanger, d’une capacité de seulement 200 lits, et il faudra compter encore au moins 3 ans avant la fin des travaux», a-t-il expliqué. Quand on sait que, dans toutes les facultés de médecine, les stages en milieu hospitalier débutent à partir de la troisième année, on est alors en droit de se demander dans quelles conditions seront formés les futurs étudiants des deux facultés privées de Rabat et d’Agadir.

Sollicitée par Le360 sur ce propos, le ministère de tutelle confirme que la Cnces a donné, le vendredi 10 septembre dernier, un avis favorable aux deux facultés privées de médecine, «à condition de satisfaire les dispositions d’un cahier des charges élaboré en collaboration avec le réseau des doyens des facultés publiques de médecine et de pharmacie et les facultés de médecine dentaire».

Dans le cadre de ce cahier des charges, les nouvelles facultés privées de médecine sont tenues, entre autres, de respecter un ratio d’enseignants permanents (60%) et surtout de s’équiper de terrains de stages adaptés (CHU). «Les deux universités en question ont déjà eu l’autorisation de construction de leur CHU par le ministère de la Santé. Les chantiers ont déjà démarré pour un des deux CHU», reconnaît le ministère de l’Enseignement supérieur. Comme dans le cas de la faculté privée de médecine de Marrakech, Saaïd Amzazi a une nouvelle fois donné son autorisation sur la base de vagues promesses. Dans un précédent article, Le360 avait tiré la sonnette d’alarme sur les promesses non tenues du ministère et de la FPMM, s’agissant notamment de la construction d’un CHU de 250 lits, dont la première tranche devait être prête début octobre 2019!

Médecin, un métier en voie de précarisationComme à l’accoutumée, pour justifier cette nouvelle vague d’autorisations, le ministère de tutelle évoque sa volonté de répondre au besoin important en médecins au Maroc. «L'OMS recommande un minimum de 23 médecins pour 10.000 habitants. Dans ce sens, le Maroc ambitionne d’atteindre 15 médecins pour 10.000 habitants en 2030 et 27 médecins pour 10.000 habitants en 2040, contre 7,1 médecins pour 10.000 habitants aujourd’hui. Conformément aux recommandation de l’OMS, concernant l’évolution du numerus clausus des professions médicales et pharmaceutiques, le Maroc vise à passer de 3.000 places à 5.000 nouvelles places à l’horizon de 2025», indique en substance une réponse écrite reçue par Le360 du ministère.

«Cela ne sert à rien de se cacher derrière les recommandations de l’OMS pour tolérer des pratiques malsaines, au point de sacrifier les conditions dans lesquelles seront formés les futurs praticiens en médecine dans le Royaume», prévient ce chirurgien, diplômé d’une faculté publique marocaine. Ce médecin invite à examiner de près le sort d'étudiants de sixième année d’une faculté dentaire privée marocaine lesquels, faute d’équipements, n’ont bénéficié d’aucun stage durant toute l’année universitaire 2020-2021.

En laissant la porte grande ouverte aux détenteurs de capitaux, attirés par le rendement élevé d’une faculté privée de médecine (120.000 dirhams de frais d’études par étudiant sont en effet requis, tous les ans, sur une durée minimale de 7 ans), les médecins formés au Maroc (tant dans le public que par le privé) se trouvent confrontés à un avenir incertain.

En accordant peu d’intérêt à la qualité de l’enseignement dispensé par ces nouvelles facultés, c’est la santé des Marocains qu’on met en péril. Une méfiance qui va probablement compliquer, à l’avenir, la relation du médecin à son patient. La question de l’établissement où chaque médecin a été formé va devenir déterminante, en hiérarchisant la qualité des soins, selon la réputation du lieu de formation. Amzazi restera dans l’histoire de l’enseignement au Maroc comme ayant été l’homme qui a dévalué le métier de médecin au nom d’intérêts occultes.

Par Wadie El Mouden
Le 14/09/2021 à 16h22